Les fêtes de fin d’année sont déjà loin. Le CASINO a fermé momentanément ses portes. Les bals ne sont plus que d’ agréables souvenirs. M.ROCHER règle ses comptes avec l’administration. Alors, si cela vous tente, je vous emmène, l’espace d’un instant découvrir un autre coin de RIO. Nous allons nous promener du côté de la place Jules FERRY. Ah! La place Jules FERRY! Cela vous pose un problème, n’est-ce pas? Sachez, vous tous qui nous suivez dans nos balades, que les Saladéens sont d’incorrigibles citoyens.
«Place Jules FERRY, s’il vous plaît ?
– Non ! Connais pas !
– Place du VOX. Pas de problème je vous y conduis.»
L’ennui, c’est que sur un plan de Rio, vous ne trouverez jamais la place du VOX, mais bien la place Jules FERRY. J’ai « invité » pour cette excursion, Arlette, Denise, Christiane, Michelle, Gérard, Nadia. Etant du secteur, nos amis nous conduiront plus aisément à la découverte du quartier.
Prêts pour ce retour dans le Rio de notre adolescence ? Alors en route ! Oubliez vos soucis et laissez-vous dériver au gré de nos souvenirs.
Nous venons de quitter Le CASINO. À votre gauche, la rue JOFFRE que nous avons sillonnée en long en large et en travers. À droite, la rue Gaëtan AMAT qui nous mène tout droit à la voie ferrée. Nous n’irons pas de ce côté -ci, mais rien ne nous empêche de répondre aux gestes amicaux de Paul et Camille COVACHO, qui nous regardent passer depuis le seuil de leur maison.
Une petite parenthèse pour vous conter une anecdote qu’Arlette PEREZ m’a soufflée au creux de l’oreille. Camille avait été sollicité par des parents soucieux et désireux de combler les lacunes en anglais d’Arlette, de Jean GALLARDO et de Jean-Jacques LAMBERT. En espagnol pas de problème, mais en Anglais ! Aïe !Aïe ! Hijo mio ! Quelle galère ! Merci M. COVACHO. Alors, imaginez les fous-rires lorsque nos amis, toujours prêts à rigoler, mélangeaient allègrement accent anglais et accent pied-noir, au grand désespoir de Camille. Je n’ai pas pu savoir si ces cours avaient été bénéfiques, mais, vue l’ambiance ! … Fermons la parenthèse, et continuons notre visite.
Allez, suivez-moi , prenons la rue François ARNOUX, c’est la plus directe. Sur votre droite, le fief de la famille PEREZ Joaquin, Tchimo, pour les amis, et Candelaria.
Une grande famille a défilé dans cette cour ! L’aîné, Joaquin, et Elvire, son épouse, les enfants : Danielle, Roger et Yves, puis Marie-Rose et Aimé GALLARDO,… maman de Paul, Jean et Simone, ensuite Clémence et François CERNA et leurs trois filles, Roseline, Jeanine et Christiane, les deux derniers, Henri et André. André, vous le connaissez , il est l’ époux d’ Hermance ROSELLO. Nous avions rencontré leur fils, Marc, rue Manuel ANDREU, devant la maison du docteur ROSELLO, son oncle. Marc jouait avec ses copains Marcel et Richard. Si la mémoire vous fait défaut allez vous promener dans « la 6ème balade« .
Reprenons notre visite. Vous me suivez ? Voici donc le grand portail de la cour des PEREZ. Vous souvenez-vous du malheur qui frappa cette famille ?
J’ai retrouvé dans « Le Sel« , le bulletin paroissial de l’ abbé PLENIER, un article relatant l’ évènement:
«Février 1956: décès de Candélaria PEREZ.
Madame PEREZ nous a été enlevée dans des conditions particulièrement atroces. Elle a été bardée de coups de poignard. L’émotion a été vive à Rio, la colère aussi. Pourtant les funérailles se sont déroulées dans la plus grande dignité. Les Saladéens ont les nerfs solides et font encore crédit à la justice.
Aux familles éprouvées, le témoignage de notre sympathie et de nos prières. »
Triste année que cette année 1956 ! Bon ! Passons ! Laissons de côté ces pénibles souvenirs et continuons notre promenade. Sur le trottoir d’en face, à l’angle de la rue, la villa de Rose et Luisico MARTINEZ. Maguy et P’tit Louis, leurs enfants, attirés par notre venue, ont ouvert le portillon. La maison est bâtie dans le jardin des parents de Rose, de Marguerite et de Guy QUILES. Belle construction !
Mitoyen à la villa, rue Jean ARACIL, voici l’atelier de M. COVACHO, tonnelier de son métier, et père de Paulo et Camille. Brigitte PEREZ et Francine RIPOLL, en sortant de l’école, s’ arrêtaient un moment, fascinées par le travail du tonnelier, prenant plaisir à le voir cercler les douelles, et donner forme au fût.
Nous n’irons pas plus loin dans cette rue. Retournons sur nos pas. Arrêtons -nous devant la porte d’ entrée de madame PEREZ.
Devant vous, la place Jules FERRY. Bien sûr, elle n’a pas la classe de la place publique, du square Milhe POUTIGON. Mais aujourd’hui, elle est très animée. Le dimanche, c’est jour de marché. Les fermiers arabes viennent vendre leurs produits. C’est ce qui explique l’effervescence du lieu.
Il y a quelques années, la place ne présentait pas ce tableau coloré. Autrefois, ce marché dominical avait lieu sur le grand terrain situé devant l’ ancienne école de filles près de la vieille église : une place en terre battue où se tenaient ce fameux marché du dimanche et les manèges lors des fêtes du village. En particulier, notre fameuse « chenille » qui nous donnait des sueurs froides, lorsque la vitesse de rotation s’accentuait et que la capote bâchée se dépliait dans l’obscurité, enveloppant tous les sièges. Alors, les cris de peur ou d’excitation fusaient de toutes part, mêlés aux grincements de la chenille ondulant sur les rails et au hurlement tonitruant de la sirène qui signifiait la fin de la promenade, permettant ainsi à « d’éventuels rapprochements » de reprendre leur place. Et oui…c’était il y a longtemps !
Et puis en 1953, le 23 mars plus exactement, Mgr LACASTRE, évêque d’ ORAN, vint spécialement assister à la pose de la première pierre de la construction de la nouvelle église Saint Michel. Et le marché du dimanche fut contraint de s’établir place Jules FERRY .
Revenons sur notre trottoir. La journée s’annonce plutôt grisâtre. Sûrement l’effet des prières de nos « faiseurs de pluie« . Tiens, justement, les voilà qui arrivent. Ecartez-vous ! Laissez passer les « Madame BONO » ! Entendez par là : « Madame Bonne Eau« .
Pour appeler la pluie sur la commune, ces musiciens arabes, au nombre de trois, déambulent dans les rues du village, derrière un jeune taureau, au pelage noir, lustré. Des colliers de perles et des rubans, pendent à son cou. Un tapis très coloré s’étale sur son dos. Il est le roi de la fête. Les trois musiciens ont chacun un instrument de musique différent pour accompagner la marche de l’animal :
la JAÏTA : une flûte en bois, le GALAL : un tambour, lui aussi en bois, et le TAR : un genre de tambourin muni de cymbales. La musique plutôt aiguë, couvre en partie les paroles de leur mélopée:
« Ya madame Bono,ateni sueldo, …. »
C’était une fête de les voir passer, lorsque nous étions enfants.
Sur la place, les paysans ont parqué les ânes près du gros pylône électrique et plus loin, un vendeur propose des touffes d’alfa ,en grappes sur le sol. Des « stropajos » très utiles pour faire la vaisselle. Plus exactement, me disait Jeanine, des « estropajos » : des bouchons d’ alfa. L’équivalent de nos éponges métalliques. Que voulez-vous ! Nos racines espagnoles ont eu une grande influence sur notre langage !
Un peu plus loin, sur votre droite, vous apercevez une guitoune. Pardon, une tente blanche. C’est celle du coiffeur, ou du docteur peut-être, je ne l’ai jamais su. Ne cherchez pas le mobilier, tout se passe devant la tente. D’ailleurs regardez ! Voici un client qui s’approche. Notre chibani s’assoit en tailleur sur la natte en alfa, « la stéra ». Le coiffeur l’ enveloppe dans une sorte de « fouta« , serviette en drap, et d’ un habile coup de tondeuse, lui rase le crâne. Non ! Non ! Pas de glace ni de lavabo, messieurs ! Chut ! Laissons travailler l’artiste ! Et puis, intervient le médecin. Je n’ai jamais eu la curiosité d’aller voir de plus près. D’ailleurs, je n’aurais osé jamais le faire. Notre ESCULAPE des rues, place des sangsues -oui, des sangsues, vous avez bien entendu- il les dispose sur différents endroits du crâne. Elles se chargeront d’améliorer l’état de santé du patient. Quelqu’un est intéressé? La thérapie par les sangsues revient à la mode. Il sait ce qu’il fait notre barbier-chirurgien!
Bref ! Comme vous pouvez le voir, la place est très animée. Une agitation vive et colorée qui faisait peur à Nadia. Enfant, elle venait avec sa grand-mère, fermement accrochée à sa main, affolée par l’agitation qui régnait sur la place.
Je vous laisse vous balader dans ce marché. Des souvenirs enfouis rejailliront sûrement, avec plaisir j’espère. Je vous retrouverai plus tard pour continuer notre balade dans ce coin de RIO.
Alors Buen paseo!