Une flambée de souvenirs.

Les artichauts sauvages.

Photo prise en avril 2018 (archive Colette Infantes)

Je joue à la dînette avec Jacqueline Sicard.

Elle a un vrai réchaud en métal décoré, d’une vingtaine de centimètres de hauteur, autant en longueur sur dix de large, avec deux feux. Quand on actionne un bouton, le feu concerné fait des étincelles. C’est bon ! On va pouvoir faire des frites. Mais je sens encore l’âpreté de ces pommes de terre dégustées crues. Etincelles décevantes. Par contre, l’entrée est une régalade. Des artichauts sauvages, arrachés ou plutôt « décanillés » à coups de bâtons le long du mur de la cave. C’est que leurs tiges filandreuses ont poussé sur la terre chaude et asséchée. Mais une fois la récolte faite, les feuilles piquantes délicatement retirées et la barbe ôtée, nous dégustons avec plaisir les cœurs de ces beaux chardons au goût d’artichaut.

Le lait caillé.

Il fait tellement chaud que le lait s’est caillé dans le réfrigérateur. Maman est désolée, elle voulait nous faire du riz au lait. Mais « pas grave » dit papa « le lait caillé égoutté et sucré c’est très bon ! Et quand j’étais gamin on buvait aussi le petit lait. » Depuis j’aime le lait caillé mais pas ce liquide aigrelet au fond duquel plonge le caillé !

Les melons suspendus.

Ce sont de beaux et gros melons ovales à la peau verte zébrée de jaune ou bien tout jaune. Leur chair est presque blanche. Pour les conserver jusqu’à Noël et pouvoir les consommer sans soucis, ils sont suspendus au plafond d’une chambre sombre, à l’abri de tout rongeur trop gourmand.

Les figues chauffées au soleil.

J’ai huit ans ; je dois « faire la poussière » …et donc, je vais très régulièrement secouer le chiffon dans le jardin, sous le figuier, c’est mieux pour déguster-en cachette- les figues mûres à point chauffées par le soleil de dix heures du matin !

Vendanges et grapillons.

Le pressoir de la cave en 2018 (Archive Colette Infantes)

C’est à la fin de l’été que débutent les vendanges. Mais c’est bien après que les remorques de grapillons sont déversées dans le pressoir.

Et je suis là, à « grappiller » moi aussi quelques grains. Ce sont les meilleurs ! Noirs, flétris, presque secs et en même temps si tendres, si onctueux et tellement sucrés. Avec ce goût si particulier, plus du tout celui du grain frais juteux mais presque alcoolisé. Ce raisin de fin de vendanges est réservé à la fabrication des apéritifs.

Saindoux et oignon tendre.

Plus d’une fois, en rentrant de la plage, le goûter s’est composé soit d’une tranche de pain tartinée de saindoux avec un soupçon de sel ou bien d’une tranche de pain huilé à l’huile d’olive, salé, accompagné d’un jeune oignon frais aux feuilles vert tendre. C’est bon !

La « torta ».

J’aime bien aller chez Miloud et Abdelkader, car leur maman, toujours avec un sourire tendre, nous offre un morceau de son pain, ce pain au blé couleur bistre qu’elle fait elle-même. Il est rond et plat. De la taille d’une petite assiette. Il a si bon goût.

Les pommes de terre bouillies.

C’est bientôt la fin, on ne trouve plus de viande dans le village. Maman pose sur la table du déjeuner un grand saladier de pommes de terre bouillies. Elles ont encore la peau. Pour la première fois de notre vie, avec Gilbert, mon frère, nous goûtons aux pommes de terre à l’eau et nous trouvons cela tellement bon avec un peu de beurre que maman fond en larmes. Elle pour qui un repas ne se fait pas sans viande.

Les jujubes.

Je suis dans un champ avec papa. Au loin une ferme. Papa prend un fruit sur un petit arbre épineux et me le fait goûter. Ce fruit a la forme d’une olive, de couleur un peu brune piquetée de rose. Un peu spongieux, son goût me plaît vraiment. – « C’est quoi ? – C’est une jujube ». (Cette année, il y aura beaucoup de jujubes sur l’arbre planté dans mon jardin de ST Romain depuis près de 30 ans.)

Et oui ! Je plante des repères…)

Fleurs du littoral oranais en avril 2018.

Er Rahel: huit petits souvenirs de mon village.

Au marché couvert.

Le souvenir raconté ici est un souvenir de ma mère quand elle était elle-même une enfant. Sa mère, donc ma grand-mère avait un chien, un chien loup comme on avait l’habitude de dire. Et ce chien faisait les courses ! Ma grand-mère préparait un panier, y mettait une liste de choses à acheter et le porte -monnaie. Le chien qui avait toujours accompagné ma grand-mère au marché d’Er-Rahel et qui avait repéré un ou deux commerçants habituels, revenait toujours le panier dans la gueule aux côtés de ma grand-mère. Un jour, la voyant se préparer, excité par la balade annoncée, il prit le panier de lui-même. Ma grand-mère, ce jour-là, a mis le porte-monnaie et un petit mot dans le panier vide. Et le chien est parti seul au marché. ll est revenu à la maison, le panier entre les dents, avec les courses et le porte-monnaie. Ainsi l’expérience a été renouvelée tant la confiance était établie entre Dick le chien, ma grand-mère et les commerçants du marché.

1960: le marché d’Er -Rahel . (archive Colette Infantes)
2014: le marché d’Er- Rahel. (archives Colette Infantes)
2018: façade du marché d’Er -Rahel.(archives Colette Infantes)
2018: Côté du marché d’Er -Rahel. (archives Colette Infantes)
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Souvenirs de radio.

-Rituel: sur le petit meuble marocain est posé le poste de radio et chaque dimanche soir nous sommes assis tout près pour pouvoir écouter ces séries radiophoniques qui nous donnent la chair de poule :”les maitres du mystère” ou “les dents du tigre” .

-21 avril 1962: Non , je ne me souviens pas de cette date, , je me souviens juste que c’était au moment où en faisant du  ménage dans la salle à manger après avoir allumé le poste de radio , et avoir entendu qu’on venait d’arrêter le général Salan , que j’ai eu cette crise douloureuse dans le ventre. Le médecin a conclu à une poussée de croissance !!

D’un boulevard à l’autre

D’un boulevard à l’autre les souvenirs n’ont pas le même âge,
Mais d’un boulevard à l’autre les balades sont en partage.
De Rio à Er-Rahel des noms sont dans les bagages
Et les lieux décrits comme des images
Facilitent les passages.
Les mots sont des ancrages.
Sur le boulevard à Er-Rahel les repérages sont en mémoire d’enfant faits des mêmes boutiques et du sud vers le nord, sur le trottoir de droite on passe devant l’ épicerie de l’aveugle ( Abdelkader Bellouati ?), puis devant celle de Jorro. Plus loin juste avant la mairie dans la rue transversale la charcuterie de chez Rodriguez.
Le cinéma /salle des fêtes, le bar de chez Cervantes, …le café boulangerie de chez Gauvin , la confiserie de chez Froment et plus haut le cabinet du docteur Grillot.
Et sur le trottoir d’en face en redescendant vers Rio, il y a la quincaillerie station d’essence de mon grand père Thomas Alcaraz , puis « le Cercle » où seuls les hommes peuvent entrer…la cordonnerie de chez Bénichou , la poste , le marché, le marchand de zlabias à la sortie de l’ école des filles et au coin de la rue de chez B.R. la pancarte Sassel.
( En 60/62 la station Shell à la sortie du village vers Lourmel est tenue par mon oncle Eugène Savall).
J’ai observé les lieux, gravé des itinéraires, mais pour conter des anecdotes il faudrait interroger des aînés-juste ceux qui ont de 6 à 10 ans de plus que moi- et les morts aussi!
Ils en ont tellement raconté dans nos repas de famille, à parler en français, en espagnol, et même en arabe pour que nous , enfants, ne puissions comprendre! Et ils ont beaucoup ri aussi !


4- Sassel: le bal du dimanche soir.

Un orchestre-ou plutôt des joueurs d’accordéons- anime le bal sur la place cimentée entre la plage et la maison du maire. Il fait noir, les couples dansent la valse, le paso-doble et le tango. Des danses qui plaisent bien aux parents… et je danse avec mon père qui me les apprend ou avec ma cousine Lucette.

Photo archive Colette INFANTES.

Au cinéma à Sassel et à Er-Rahel.

C’est très agréable le dimanche soir de voir les images sur l’ écran en entendant le bruit des vagues dans le dos. Le cinéma en plein air à la plage de Sassel se trouve là-bas au fond, de l’autre côté de la plage, à côté des viviers, ces grands trous maçonnés sur le quai au bord de l’eau et remplis par la mer. Et ça sent l’iode en regardant le film.

A Er-Rahel c’est plutôt le dimanche après-midi que je vais au cinéma. En première partie il y a « les actualités » puis des dessins animés « Tom et Jerry » ou un « Charlot ». A l’entracte, l’ ouvreuse propose un esquimau.
Je me souviens des films « péplums »: « La vallée des rois », « Romulus et Rémus »,ils sont si beaux ces romains, la peau bronzée et luisante, et les femmes aux longs cheveux blonds, la poitrine qu’on devine ferme sous les voiles colorés…
Et ce film d’horreur qui m’a bien marquée: « Les yeux sans visage ». J’ai revu ce film à la télévision dans les années 90. Ainsi j’ai su que l’acteur était Pierre Brasseur et l’auteur Georges Franju. Un film de 1960.
C’est dire si l' »on était à la page » à Er-Rahel dans les programmations!
Mais je n’ai pas pu voir « Carthage en flammes », affiche bien alléchante sur le trottoir devant le cinéma .
« Tu auras l’occasion de le voir plus tard » me dit maman.
Et non !…

Photo archive Colette INFANTES.

Autour de Pâques

Les cigognes.
Elles font toujours leur nid sur la haute cheminée de la cave coopérative à Er-Rahel. On le voit bien depuis la maison. Et c’est souvent un jour autour du dimanche de Pâques que les petites cigognes prennent leur envol. Un vrai spectacle!

Photo Colette INFANTES.



Le jour de Pâques chez ma tante Marie-Jeanne.
Je suis devant le magasin de Pépé Thomas, juste sur le bord du trottoir, comme pour regarder les voitures passer. Et je mange de la mona accompagnée d’une mandarine.
La mouna (on a toujours dit « mona ») est hors de portée des enfants, sur une haute étagère dans la cuisine. Mais papa en coupe deux tranches chaque fois que la première est mangée.  » Pour égaliser, dit-il, une pour moi , l’autre pour lui, en cachette ! »
Une autre fois, encore un jour de Pâques, je me suis étalée dans les orties en cherchant les œufs en chocolat. J’étais en short, et il en a fallu du vinaigre pour tamponner mes cuisses!

Mona 2015 (archive Colette INFANTES)




Souvenirs d’enfant à Er-Rahel

« Faire le boulevard ».
Tous les dimanches, sur le coup des 18h et plutôt aux beaux jours , tout le monde sort pour « faire le boulevard ». Tout le monde en famille déambule sur la route nationale, pour une balade aller-retour d’un bout à l’autre du village. Les uns montent, les autres descendent. L’occasion de discuter de tout et de rien, du travail de la semaine, des événements, de croiser des copains ou des voisins, de se saluer et de marcher un peu. Les enfants devant, les parents derrière.
Mais avant de rentrer à la maison, on s’arrête au café de chez Cervantez, sur la place du village pour boire l’anisette et manger des olives , des cacahuètes et des brochettes. Et rigoler!

La route nationale d’E Rahel-1962- (archive Colette Infantes).
Archive de l’amicale du Rio Salado.