La saison de plage était finie ! Alors commençait la période des vendanges.
20 août 195…, et les suivants, le village sortait de sa léthargie écrasé encore par la chaleur.
Ce matin là, comme tous les ans dans l’Echo d’ Oran, dans la rubrique « Régionale » on pouvait lire sous la plume du sympathique Émile GARAIT (Mimilo pour les amis) :
« Les vendanges commencent à RIO SALADO…. » et immanquablement, le texte débutait par :
» Tout ce qui roule, camions, tracteurs, charrettes (il y en a encore!) sont sortis de leur sommeil ……. »)
Les premiers raisins ramassés (alicantes, cinsaults, grenaches) étaient ceux de la côte… de Sassel à Punta Moréna en passant par « le barranco de Laurel ».
Ces vendanges ! Que de souvenirs !!!!
A Rio, de mémoire, il y avait une centaine de caves. Celles des propriétaires qui vinifiaient leurs propres récoltes.
La coopérative, située à l’entrée du village, qui accueillait celles de ses adhérents.
Et les négociants en vin, qui achetaient les raisins de tout un chacun.
Dans les vignes qui s’étendaient dans toute la plaine de l’oued, les vendangeurs, ouvriers du village pour la plupart, et les saisonniers -les saharaouis venus du Sud et du Maroc- s’activaient entre les rangs serpette à la main. Les « corberos », la hotte ou les paniers à vendanges, bien remplis de grappes gorgées de soleil, les vidaient dans la remorque, ou dans la benne du camion » BERLIET » sous l’œil vigilant du responsable du « colmo »? chargement bien cadré, qui faisait sa fierté si aucune perte n’était à déplorer sur le trajet du retour. Mais il fallait compter sur la bande d’enfants prêts à s’y accrocher pour prendre à la volée une belle grappe.
Mon père était un adhérent de la coopérative. Plus d’une fois je l’accompagnais et vivais de près les vendanges.
C’est avec nostalgie que je me souviens de ces tracteurs sillonnant le village, laissant une traînée de jus violacé sur la route où s’agglutinaient ces petites mouches qui vous collaient à la peau.
La première opération, dès leur arrivée, était de passer sur le grand pont bascule pour enregistrer la quantité de raisin livrée. Puis la pesée terminée, la remorque était amenée près du conquet. Pour évaluer la teneur en sucre de la parcelle, on récupérait dans une éprouvette, une fois la ridelle du camion baissée, le jus de raisin retenu par la bâche. Parfois on écrasait quelques grappes dans les seaux à vendanges,. Le pèse-moût plongé dans l’éprouvette vérifie le « degré baumé » (degré en sucre) dont allait dépendre le degré alcool.
La coopérative n’acceptait au minimum que du 13°. Ce qui occasionnait éventuellement des litiges que Rémi Claverie, chef caviste de la coopérative, devait régler avec beaucoup de diplomatie car, parfois, il obligeait le propriétaire à stopper momentanément ses vendanges.
La cave était une véritable ruche bourdonnante
Le raisin entassé dans le conquêt était poussé vers le pressoir pièce principale (cœur). Tous s’activaient autour pour récupérer les marcs et les transporter vers les presses.
Quant au jus (le moût), il poursuivait son bonhomme de chemin vers les cuves pour une fermentation future.
Cette délicate opération était soumise à de nombreux contrôles de vérification continue de la température du moût. Devenu trop élevé, le moût était envoyé vers « le réfrigérant ». Drôle de structure de tuyaux juchée sur les toits de nos caves en Algérie. Pour maîtriser la température, de l’eau coulait sur ces canalisations. La cave fonctionnait nuit et jour pendant cette période. (On ne connaissait pas les 35heures !)
Je me souviens encore :
– de l’odeur particulière qui flottait dans le chai. Mélange de vin et d’anhydride qui vous montait à la tête qui, si l’on ne faisait pas attention, risquait de finir par vous soûler,
– des bruits assourdissants des machines se mêlant aux cris des ouvriers demandant l’arrêt des pompes : » Rayed ! Rayed ! (Arrête ! Arrête ! phonétiquement écrit) quand les cuves étaient remplies à ras bord.
- de certains qui prenaient leurs congés annuels pour participer à la vinification. Je pense notamment à Antoine AMAT qui travaillait dans une banque ( Crédit Foncier ??) et qui vinifiait avec beaucoup de talent chez André POVEDA . Et combien d’autres ….
Durant trois semaines environ, la ruche était en pleine effervescence. Puis, les raisins rentrés, le quai et les pressoirs nettoyés, le caviste prenait le relais pour mener à bien la vinification.
Alors arrivait le moment le plus plaisant pour moi, le grand banquet qui réunissait autour du Président Jean SEROIN (Jeannot) tous les coopérateurs, leurs amis, les cavistes et tout ceux qui avaient participé à ces vendanges.
Marius POVEDA (Mariano pour nous tous) était le grand ordonnateur de ces réjouissances. De nombreuses poêles de paella ou de gaspachos étaient au menu, précédés bien sûr de notre boisson à nous tous : l’ANISETTE.
Ce repas qui clôturait nos vendanges était évidement arrosé de l’excellent vin de notre coopérative, et toujours accompagné en guise de souhait ou de menace amicale :
« Y qué no falté na!!!!!!»
(Et qu’il ne manque rien !!!! en valencien)
et de l’inévitable
« Hasta l’año que viene si Dios quierre »
Mais déjà on pensait à l’ouverture de la chasse et surtout à :
la FETE DU VILLAGE!!!
René CARDONA (Abidjan)
Hé! Les fêtes du village!!!! Attends un peu!!!! j’aimerais savoir d’abord, et comme moi, beaucoup de « jeunes », comment les vignobles « sont arrivés » à RIO SALADO, « quels chemins » ils ont empruntés? C’est la moindre des choses! Rendons grâce à nos anciens! Les archives de notre Amicale nous conteront sûrement le parcours des « racines » de ces vignes qui ont fait la renommée de notre village.
Bonsoir Jadette
Je ne peux te donner que des infos que j’ai de tradition « orale » et dont je garde encore quelques souvenirs.
La première, je la tiens de mon grand-père Blasco qui m’a dit que c’était les ouvriers agricoles espagnols (aujourd’hui on dirait « saisonniers ») qui venaient pour la « temporada » qui ramenaient des plans de chez eux.
La seconde, de mon père qui me disait qu’après le Phylloxéra, il avait fallu mettre des plants qu’on appelait »Américains » plus résistants qu’il fallait greffer par la suite pour avoir cet excellent raisin de table de notre village (Valenci, Teta de Vaca ou Muscat et toutes les variétés destinées à la vinification).
Ce qui est certain c’est que, dans une parcelle, quand un cep de vigne était cassé, la repousse c’était de l’américain avec ses petites feuilles, ses longs sarments et ses petites grappes . Il fallait regreffer.
Voila « ça » que je sais!!
Amitiés de là-bas
René
(Abidjan)
Pour étoffer ton commentaire, René, voici l’essentiel d’un texte écrit en 1925 par le maire de notre village: Monsieur Joseph MILHE POUTINGON:
«………..Le vignoble de RIO SALADO s’étend rapidement, il couvrait, dès 1925, une superficie de 6000 hectares pour une production de 400 à 450 000hectolitres……….si cette prospérité s’est affirmée si remarquablement nous le devons à priori à trois facteurs essentiels………
1-Au peuplement exceptionnel de colons laborieux, économes et courageux,
2-A la construction de la ligne de chemin de fer d’ORAN à AÏN TEMOUCHENT,
3-A la présence à demeure d’une main d’œuvre composée surtout d’ouvriers espagnols. Une mention spéciale est due à ces travailleurs prodigieux à qui l’on doit, il faut le reconnaître la prospérité et la richesse de l’ORANIE toute entière….. Ce sont eux qui ont extirpé d’un sol ingrat et infertile le lentisque et le palmier parasitaire, pour en faire une terre productrice de revenus incalculables…….
………Pour être complet dans l’énumération des causes qui ont amené la richesse à RIO SALADO, il convient de rappeler qu’un des principaux artisans de cette richesse est sans contredit Monsieur Henri VIC, négociant à ORAN.
Jusqu’en 1891 le vignoble de RIO SALADO n’occupait qu’une faible partie de son territoire. Les vignes plantées au petit bonheur se composaient d’un mélange de plants provenant de vignobles déjà existants. Les vins produits avaient la réputation imméritée d’être des produits de qualité détestable à couleur violacée, mal fermentés, à goût douceâtre avec une acidité volatile élevée.
……..Vers cette époque (1892) après dénonciation des traités franco-espagnols, M. VIC dut chercher sous d’autres cieux la possibilité de continuer son commerce. Pour cela il fallait trouver une région chaude, peu humide où pourraient figurer en bonne place les cépages susceptibles de produire des moûts d’une richesse en sucre élevée. Ces conditions paraissaient se réaliser à RIO SALADO, c’est là que M. Henri VIC jeta son dévolu et transporta son exploitation.
Le marché à longue échéance conclu avec M. Alexandre MILHE POTINGON père, permit à M. VIC de créer de toutes pièces une installation appropriée pour l’élaboration des marchandises précitées. Dès son arrivée dans le pays, M.VIC, secondé par Charles DECOR son gérant. L’homme distingué, intelligent et dévoué, conseillait très judicieusement les viticulteurs qu’il dirigeait dans la voie de plantations nouvelles, raisonnées, avec adaptation de variétés sélectionnées. La clairette et le grenache étaient choisis de préférence en raison de leur haute teneur en sucre, de leurs moûts et de leur qualité.
M.VIC ne donna pas seulement de bons conseils, il alla plus loin. Il donna de sa bourse sous forme d’avances aux petits colons pour constitution de vignobles………C’est donc à ce dernier que RIO SALADO doit, en grande partie, l’extension de son vignoble et partant de sa fortune.
Qu’il en soit remercié……..
J.MILHE POUTINGON 1925.
Bonsoir Jadette
J’ ignorais l’importante et déterminante action de Mr Vic et de son gérant Me Decor Une fois de plus je me rends à l’évidence les écrits l’emportent sur la tradition orale Bien que je reste persuadé qu’il y a du vrai dans ce que me disait mon grand père Les saisonniers espagnols devaient ramener des plants de chez eux Souviens toi nous avions » L’Alicante, la Merséguéra le Valenci » ces sont à consonance ibérique …
Par contre il serait bon de savoir à quelle époque le phylloxéra a ravagé le vignoble en Oranie obligeant à replanter avec d’ »L’américain » a greffer
Sans aucune certitude je pense que toujours tradition orale cela doit se situer vers 1890 (En France vers 1860/75 ?)
Le débat est ouvert
Pour Jadette Salva. Il me semble que nous habitions la même rue à RIO Salado. Mon père a travaillé chez Jacques Salva : il s’appelait José Manas.
J’avais 10 ans, et j’allais à la ferme, sur la route de Turgot. Votre père a été très bon envers ma mère et j’aimerais (s’il est vivant ) le remercier. Je vous laisse mon adresse mail. : marels@orange.fr
Merci d’avance pour la réponse.
Robert ( frère de Sylvain )
Bonsoir Robert!
Vous avez là. un beau souvenir de mon beau père, je vous en remercie.
Jacques SALVA (Jaïme) nous a quitté il y a trente ans.
Désolée de ne pas pouvoir vous en dire plus.
Pour terminer notre périple dans l’histoire des raisins de Rio, et les repas cordiaux de fin de vendanges. J’ai trouvé dans les archives de l’amicale, « la grande aventure de la vigne…. »de Robert WARNERY. Il nous entraîne sur les traces de FISTON, son père, pour nous faire remonter le temps en nous parlant de ces vendanges qui ont tant compté dans le village.
«La GRANDE AVENTURE de la VIGNE……..» Robert WARNERY
Ce métier de la vigne, ne se fait pas sans une immense passion de la terre et une résistance à l’échec à toute épreuve. Le temps, le soleil et les soucis du lendemain incertain, burinèrent le visage de nos pères et tannèrent leurs peaux, rude écorce peu sensible aux éléments. Ils avaient la vie chevillée à l’âme par ce combat de tous les jours pour une existence qui n’ avait pas toujours été tendre avec eux. Mon père était de cette trempe. Les techniques d’exploitation plus aisées que par le passé, n’enlevaient rien à l’ardeur et à la ténacité qu’il employait pour continuer l’œuvre d’Eugène WARNERY, mon grand père, cet ingénieur diplômé de l’ école d’ agriculture de Montpellier. Les pépinières RITCHER approvisionnaient mon père en jeunes plants plus résistants qui lui permettaient de renouveler certaines parcelles.
«La culture de la vigne, me disait FISTON, est un travail de tous les jours. Les jeunes plants demandent une surveillance de presque tous les instants, afin de mener à bien sa maturité.»
Et là, arrivait le cortège de traitements des maladies habituelles qui s’égrenaient tout au long de l’ année : l’OÏDIUM, le MILDIOU, les ALTISES…. Plus d’une fois, je le vis consulter le sacro-saint et mythique calendrier » le ZARAGOZANO » qui lui donnait la météo sur un an! (enfoncés les prévisionnistes les plus performants de Météo-France sur une semaine !!)
Puis arrivaient les vendanges, et il disparaissait, perdu dans l’organisation de la composition de coupeurs et porteurs. Les camions récupérés sur les stocks laissés par l’armée américaine, faisait son affaire. Il y avait là, des véhicules pouvant circuler sur tous les terrains et par tous les temps.
Et les vendanges commençaient fiévreusement dans des odeurs de grappes mûres qui embaumaient l’atmosphère des vendanges. Mon père se passionnait dans la recherche des techniques de fabrication d’un vin qu’il appelait « vin médecin ». Ce vin médecin apportait un complément à certains vins dépourvus de » corps ». J’aimais par dessus tout déambuler dans la cave, assourdi par le bruit des pressoirs entraînés par l’enchevêtrement des courroies qui, toute la journée, sans interruption tournaient, tournaient….. Et au-dessus de ce charivari, je m’imprégnais de l’odeur des grappes pesées, et des marcs qui parfumaient la cave.
Et 1963 est arrivé…..
Le colon contemple pour la dernière fois le domaine viticole qui préserve au plus profond de ses ceps de vigne, ses meilleurs souvenirs d’hommes heureux, de luttes contre les fatalités de la maladie et autres formes de fléaux contre lesquels il n’avait jamais baissé les bras afin de préserver son patrimoine. Le soleil se lève doucement pour faire encore une fois de cet endroit où il est né : « un des endroits des plus beaux matins du monde». Il va sur ses 50 ans d’une vie laborieuse vouée à sa terre, à sa famille, à ses parents, à ses amis, à la vie associative de son village…….il laisse derrière lui le cimetière où reposaient trois générations de ses pères. Il ne reste dans les rues de son village que quelques vieux pour se rappeler encore son nom. Le vent qui se lève ne mettra pas longtemps à effacer sa trace dans le sable des dunes proches.
« IL EST LA POUR QUELQUES INSTANTS ENCORE ET BIENTÔT POUR PLUS JAMAIS! »
Robert WARNERY
Bonsoir,
Je cherche des informations sur mon arrière-grand-père Albert Joseph Claverie qui devait être boulanger à Rio Salado vers 1920; il aurait fait partie de la famille du maire de Joseph Milhe Poutingon. Rémi et Roger Claverie, cités sur votre site, sont sans aucun doute les fils d’Albert Claverie. Si vous disposez d’informations et de photographies de ces personnes, j’en serais extrêmement heureuse.
Je vous remercie.
Bien cordialement,
A. Roussel
Je passe le bonjour à vous tous, amicale de Rio Salado. Je suis une étudiante en architecture et j’ai comme sujet d’étude de fin d’année « les caves de Rio Salado« , et plus précisément la cave coopérative 27 CARDONA.
S’il vous plait, si quelqu’un parmi vous aurait des informations ou bien des photos sur cette dernière, je vous en serai tellement reconnaissante.
Mes sincères salutations!