Le cimetière de Rio Salado.

Lettre de notre président, Ernest REYNE.

Chers amis,

Vous le savez sans doute, le cimetière de Rio Salado, où reposent  nombre de nos parents et amis, a été profané. Il avait été préservé pendant de longues années, mais désormais, une partie du mur d’enceinte s’est effondrée et en l’absence de gardien, de nombreuses tombes, chapelles et caveaux ont été ouverts et visités.

Nous sommes tenus informés de l’évolution de ce dossier par notre amie Michelle CHORRO en sa qualité de vice-présidente du CSCO (Collectif de Sauvegarde des Cimetières d’Oranie) lequel est intervenu à ce propos auprès des autorités algériennes locales.

En effet, une délégation du CSCO, conduite par son Président, Jean-Jacques LION a rencontré, les 27 et 28 mars, M. Kouider GOURINET (Maire et président de l’APC), M. EZZINE (chef de la DAÏRA ou Sous-Préfet) et le Wali (chef de la Wilaya d’Aïn Témouchent ou Préfet).

Il en ressort que : « le CSCO est prêt à financer la réhabilitation des sépultures à la condition que des travaux de remise en état, voire de construction, soient effectués sur les murs afin d’assurer l’inviolabilité de l’enceinte, et ce d’autant que le cimetière n’est  toujours pas gardé. »

On retient  de l’attitude du  Wali que ces travaux incombent à la commune. Pour ma part et à la demande du CSCO j’ai adressé, en qualité de Président de l’Amicale du Rio Salado, un courrier au Maire du Village, avec copies au sous-préfet et au Préfet pour insister sur la nécessaire réalisation de ces travaux sans lesquels rien ne sera possible. (voir courrier en fin d’article)  Il serait à cet égard souhaitable que tous ceux d’entre vous qui se sentent concernés par ce sujet adressent à leur tour un courrier similaire aux mêmes personnes.

A ce jour, le CSCO, très mobilisé sur ce dossier, a obtenu de la Région PACA l’attribution d’une subvention d’un montant de 20 000€ pour la réhabilitation du cimetière de Rio Salado. Le CSCO s’engage à financer le reste des travaux. Il n’a pas demandé d’aide de notre part, mais elle serait bien entendu  la bienvenue. L’Amicale adressera donc un don au CSCO, don qui pourrait être augmenté de la participation individuelle des saladéens qui le souhaiteraient.

Dans ce sens, vous pouvez, dès à présent, adresser votre don à notre trésorier, Jean-Louis LOZANO. Ces dons individuels seront conservés dans un compte particulier et seront rendus à leurs auteurs dans l’hypothèse où les travaux ne seraient finalement pas exécutés.

E.REYNE

Chèques à l’ordre de : Amicale du Rio Salado (mention Cimetière au verso)

A adresser à Jean-Louis LOZANO, 3 rue Joseph Delteil, 34830 CLAPIERS

Courrier adressé par notre président aux instances municipales de la commune d’El Malah.

AMICALE  DU  RIO SALADO

Association régie par la loi du 1er juillet 1901 – J.O n° 661 du 7 avril

                                                        Monsieur Kouider GOURINET

                        Président APC

                        Mairie de Oued Mellah

                        OUED MELLAH 46100

                        Willaya d’Aïn Témouchent   ALGERIE

          Monsieur le Président APC,

 

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour la qualité de l’accueil que vous avez réservé à nos compatriotes Saladéens lors de leurs passages dans votre ville, accueil dont nous avons pu mesurer toute la cordialité lors de la visite de la délégation du CSCO en mars dernier.

Je reviens vers vous pour vous remettre en mémoire les engagements de remise en état des clôtures (murs) du cimetière chrétien et israélite de la ville, engagements réitérés en mars dernier, en présence du chef de la DAÏRA, à la délégation du CSCO et qui ont été relayés vers le WALI d’Aïn Témouchent.

Les différents travaux de remise en état des sépultures ont été budgétés et seront financièrement honorés par le CSCO, une participation de l’amicale du Rio Salado et une subvention spécifique obtenue du Conseil Régional de Provence Alpes Côte d’Azur (PACA).

Les travaux débuteront dès la finalisation des travaux de clôture du cimetière. Leur financement fera l’objet de virements directs à la régie des pompes funèbres d’Oran à qui incombera la charge de faire effectuer les dits travaux. (Un de leurs représentants était du reste présent lors de votre entrevue commune sur site en mars dernier).

Vous savez l’attachement de nos concitoyens pour ce lieu de mémoire où reposent un certain nombre de leurs parents. Ils vous seront reconnaissants de votre implication dans la remise en état de ce cimetière et sont prêts à vous le confirmer sous forme d’une pétition. Cela pourrait par ailleurs être de nature à normaliser de bonnes relations entre nous et à les inciter à revenir plus souvent sur le territoire de cette ville de Rio Salado (El Mellah) dont l’administration est à votre charge.

Vous remerciant par avance de ce que vous ferez pour satisfaire notre demande, je vous prie de croire, Monsieur le Président APC, à l’expression de ma considération distinguée.

                                                                                                                      Puyricard, le 30 juin 2016

Ernest REYNE,

Copies à :

–  Monsieur EZZINE, Chef de la DAÏRA, El Melah 46100, Wilaya d’Aïn Témouchent ALGERIE

–  Monsieur le WALI , Wilaya d’Aïn Témouchent 46000  ALGERIE

 

19 réflexions sur « Le cimetière de Rio Salado. »

  1. Bonjour à tous,
    J’ai regardé, le coeur gros, toutes les images de notre cimetière dans lequel reposent ma chère maman et ma petite soeur Maryse…J’en ai pleuré de voir dans quel état il se trouve . Je tiens à remercier Mr Ernest Reyne pour son courrier adressé aux autorités locales en espérant qu’une suite favorable lui sera donnée pour que notre cimetière retrouve un aspect digne de respect.

    1. Bonjour,
      J’aurais aimé savoir si les tombes de mes aïeux existaient toujours. Famille Carreño, Vicente Olegario, Salut Argeniero, Lucie et Dolores Alcaraz épouse de mon arrière grand père Vicente Olegario. Je vous remercie par avance.

  2. Je suis née à Hammam Bou Hadjar en 1948, mais notre caveau de famille était à Rio Salado. Partie en France en 1950, je suis revenue avec mes parents en 1958 et j’en ai gardé de poignants souvenirs. Comment savoir dans quel état est notre caveau ? Je sais que mon grand-père paternel s’y trouve (Honoré MALBEC) et ma sœur (Rolande MALBEC). Je ne me souviens pas des autres membres de la famille qui y demeurent également pour l’éternité. Quelqu’un pourra t’il me renseigner ? Mon cœur est resté attaché à ma terre natale et aujourd’hui, il saigne encore d’avoir dû l’abandonner. A 70 ans, j’éprouve un grand besoin de me raccrocher à mes souvenirs… MERCI.

    1. Yolande, la réhabilitation du cimetière de RIO SALADO est en bonne voie. Ne vous faites pas de soucis pour vos parents laissés là-bas, les tombes sont bien fermées. Je vous conseille cependant de vous adresser au SCSO (Collectif de Sauvegarde des Cimetières d’ Oranie) 3 boulevard ARRAS 13004 à MARSEILLE. Le CSCO pourra vous donner de plus amples informations, vous serez ainsi totalement rassurée. Amités.

    2. Bonjour yolande,
      Je suis avec Robert malbec.
      Nous venons de lire votre petit qui nous replonge dans les souvenirs .
      Ou êtes vous maintenant ?
      Robert vous transmet une bise.
      J’espère avoir une réponse de votre part .

      Etienne auxiliaire de vie de Robert malbec

  3. Le cimetière de Rio Salado
    Où vas-tu de la sorte ?
    Je partais, je quittais, je fuyais, seule, sans voir, sans penser, sans parler, sachant bien que j’irais où je devais aller : au cimetière de Rio Salado.
    Hélas ! Je n’aurais pas pu dire que je souffre ! Que le chemin fut, beau, pluvieux, froid, mauvais, j’ignorais, je marchais, je marchais. Rien ne me retenait et j’allais maintenant sur la tombe de mes aïeux.
    Oh! que de fois, sachant que tu devais m’attendre grand-père, j’ai pris ce que j’ai pu trouver de plus beau au village pour garnir la tombe. Je n’ai pas eu à charger quelqu’un d’El Malah qui passait par là.
    Je sentais le vent souffler dans les cyprès. Je pensais t’entendre dire grand-père : où vas-tu de la sorte ? Comme tu nous le disais souvent
    puisque Dieu ne veut pas te laisse revenir alors, je dirai une prière ! Ta tombe est ma chance de pouvoir te prier, c’est mon espoir, ma foi, ton linceul toujours flotte, entre toi et nous.
    Quoi que nous fassions, quoi que nous disions, nous arrivons à cette solitude et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !
    Que le chemin fut, beau, pluvieux, froid, mauvais, j’ignorais, je marchais, là où je devais aller, jusqu’au cimetière. Rien ne me retenait et j’allais ; maintenant sur ta tombe, grand-père, toi le seul que j’ai connu.
    Si depuis plus de soixante ans je ne suis pas venue, oh! que de fois, j’ai pensé à toi, sentant que tu devais m’attendre, j’ai pris la décision de passer quelques heures à tes côtés.
    Dormez, dormez , grand-père ! Les fleurs aiment les morts ! Puisque Dieu ne veut pas te laisser revenir, puisqu’il nous fait lâcher, ce qu’on croyait tenir, je dis à cette tombe : Paix à l’ombre des cyprès, dormez, dormez! Grand-Père, dormez, dans cette tombe, à l’infini.
    Maintenant à Rio, ses pavés et ses marbres sont tout près de mes yeux. Je suis sous la beauté des cyprès, je ne puis songer qu’à la beauté du lieu. Je sens, le calme, la paix qui m’entre dans le cœur. Émue par ce tranquille horizon, je viens à vous, Seigneur, mon père! père auquel, il faut croire ; je conviens que vous seul savez ce que vous faites, et que l’être vivant n’est qu’un jonc, qui plie au vent ; je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu.
    Mais Seigneur, laisse- moi me pencher sur cette froide pierre et dire à mon grand-père : sens-tu que je suis là ?

  4. Maintenant que Rio, ses palmiers et ses rues sont bien loin de mes yeux ; j’entends toujours le vent dans l’air, la mer sur le rocher, je marche au bord de l’eau courbée comme celle qui songe. Je reste parfois couchée, allongée sur le sable jusqu’à l’heure où je vois apparaître les yeux sinistres de la lune. Je n’ai pas oublié cette plage de Turgot ni le groupe d’amis.
    Des vols d’oiseaux de mer se mêlaient à l’écume.
    Ô mes amies parlaient un peu de cette vie où les dunes creusaient de farouches entonnoirs.
    L’hiver était affreux dans ce lieu solitaire
    Je me souviens encore de quel accent notre mère nous disait « soyez sages. »
    Où donc est ce sourire ? Où donc est cette voix ?
    Ô baisers d’une mère !
    Aujourd’hui, mon front sombre, le même front est là, pensif, avec de l’ombre, et les baisers en moins et les rides en plus !

  5. À quel monde cruel étions- nous confrontés !
    Un monde semé d’embûches, un monde fou, en laissant derrière lui des ruines en emportant toutes nos illusions. Sur les routes, dans les fermes, la situation empirait. L’enfer ne nous faisait pas peur, nous le vivions au quotidien avec ses égorgements, ses mutilations, les gémissements de douleur, les blessures horribles. Au sein même de notre village, les relations avec la communauté arabe se tendaient. Habituellement, au moment de l’Aïd El Kébir, fête qui succédait au ramadan, les habitants du village de confession musulmane vêtus de leurs plus beaux habits rendaient visite à leur famille et à leurs amis.
    Le mouton du sacrifice cuit à la braise était partagé en trois parts égales, la première pour la famille, la deuxième pour les amis et la troisième pour les pauvres. Or, en ce début des années 60, nous ne faisions plus partie de leurs amis. Les dirigeants fanatiques nous avaient séparés brutalement.
    Je savais au plus profond de moi-même que rien ne serait plus jamais comme avant. Je détournais mon regard en les croisant dans la rue, nos chemins se séparaient et chacun prenait en main son destin. Les deux communautés veillaient à s’éviter le plus possible.
    Yamina ma voisine et moi-même nous nous comprenions à demi-mot. Ayant vécu toute notre enfance ensemble, nous ressentions la même douleur. Jadis, nous nous entendions si bien … Impuissantes, face à ce désastre, en proie à un profond déchirement, des larmes ne cessaient de couler sur nos joues quand nous nous rencontrions.
    Parfois, avant le couvre-feu, nous nous retrouvions sur le seuil de nos portes afin de profiter ensemble de la fraîcheur du soir et essayer de maintenir le fil qui nous liait et qui néanmoins, inéluctablement, s’effilochait. Nous tendions l’oreille et écoutions les bruits nocturnes, l’air chaud s’emplissait d’odeurs estivales.
    Les nuits étaient magnifiques, indifférentes à la tension ambiante. La pleine lune déversait sur les façades des maisons des flots de lumière douce et sereine.
    Admirative sous cette voûte étoilée, je m’interrogeais : quel mystère ! Ces étoiles sont toujours à la même place et dans un siècle elles verseront autant de feux qu’aujourd’hui. Ces astres vivent en paix, rien ne dérange leur ordre éternel, contrairement à notre planète où l’on s’entre-tue.
    Il faut plus de bonté et de justice pour que la paix revienne sur terre, que le monde change de mentalité et apprenne à découvrir la richesse intérieure de chaque individu. Il était facile de le dire, quant à le faire… L’olivier de la paix n’était plus d’actualité en Algérie.
    Dès que les évènements prirent de l’ampleur, nous dûmes rentrer dans nos maisons vers vingt heures, bien nous calfeutrer et assurer au mieux notre sécurité. Avec du recul, il était illusoire de s’imaginer être à l’abri ; notre maison étant éloignée du centre du village on pouvait à tout instant y pénétrer sans que personne ne s’en aperçoive. C’est un peu plus tard, que notre père et les voisins réalisèrent à quel point il était dangereux de rester ainsi isolés, ils décidèrent de se regrouper chez une famille dont la configuration de la bâtisse paraissait plus sécurisante. Du réconfort, nous en avions bien besoin avec toutes ces mauvaises nouvelles qui s’abattaient sur notre pays. Nous étions accablés par l’angoisse, le désespoir, et l’ignorance. J’éclatais souvent en sanglots, je me sentais impuissante, tout mon être ressentait ce malheur. Heureusement, la force morale de mes parents et des villageois m’aidait à surmonter tant bien que mal cette dure épreuve.
    Les évènements se succédaient en allant crescendo, plus d’attentats, plus de morts. Tant de victimes pour rien, il fallait fuir cette terre. Nos visages faisaient peur à voir, nous étions épuisés par les nuits sans sommeil, les sacrifices occasionnés par cette guerre infâme qui s’éternisait… Les rumeurs les plus folles couraient dans le pays. J’errais dans les rues en proie à mille incertitudes, et regagnais la maison sans m’apercevoir que mes pas m’y guidaient d’instinct.

  6. Algérie
    Qu’importe si les rues n’ont plus le même nom,
    Si les blancs pigeons ont fui le toit de ma maison.
    Il reste dans ma tête de si belles visions,
    Des images vivantes qui me ravissent tant.
    Quand je fais le voyage, à travers ma mémoire
    Il m’arrive de pleurer ou de rire aux éclats.
    J’ai tant de regret, tant d’amour à donner !
    Pourtant jalousement, je crains le ridicule.
    Je garde précieusement ces si beaux souvenirs,
    Ils resteront en moi, un secret bien gardé.
    Quand je fais ce voyage à travers mes pensées
    Je revois ce merveilleux village qu’il m’a fallu laisser.
    C’est ma jeunesse qu’en mon cœur j’ai gardée.
    Qu’importe qu’on ait changé de noms.
    Les messagères de paix ont changé d’horizon.
    Il me reste en mémoire un grand livre d’images
    Que j’ouvre souvent.
    J’ai chassé au plus loin la haine et les violences,
    Je ne veux conserver, bonté et beauté
    Sans haine et sans regret.

  7. Les villes ne valent pas seulement par leur site ; mais par leurs monuments, par le génie industriel et par les exemples qu’elles donnent. L’histoire d’une grandeur durable par l’effort est la meilleure leçon qui soit. Salut à toi, Rio-Salado, commune du bon vin et de cette joie de vivre !
    Ce fut toujours une vie ardue, luttant sans trêve, tu te déchaînais contre tous les éléments : la sécheresse, l’incendie, fléau périodique, la peste et le choléra. Mais l’épreuve était pour toi pressentiment d’aube et source de gloire. Et chaque échec était suivi d’un rêve plus grand, d’une action plus tenace encore. Ton agonie s’est appelée résurrection. Et cette résurrection vint de ses habitants confiants, que tu aimais tant. Il ne suffisait pas cependant d’affirmer ce principe au milieu d’un monde hostile. Une conquête de cette importance ne pouvait être assurée que par l’effort et malheureusement par le sang.
    Et toi, terre vengeresse, pendant plus d’un siècle tu as exprimé et réalisé ce désir grâce à la persévérance.
    Sois béni, toi qui fus également le village de nos aïeux !

  8. Josette Candéla
    juillet 1962
    Mon départ pour la métropole s’accéléra.
    Les barbelés se multipliaient au centre de la ville d’Oran. Avec le couvre-feu, il n’y avait pas une âme qui vive dans les rues dès vingt heures en Algérie ; les bruits de sirènes peuplaient notre univers. Depuis huit ans, nous n’avons rien connu d’autre que la peur au ventre. L’horreur du présent, l’angoisse du lendemain…
    Je compensais ces peurs en mangeant tout ce qui me tombait sous la main. Cette boulimie me permettait d’oublier, c’était comme si j’emmagasinais de la nourriture pour que mon corps puisse compenser un éventuel manque futur… Repue, je pouvais enfin trouver le sommeil… Le lendemain, mon cauchemar réapparaissait tel que je l’avais laissé la veille. Je rêvais que je me trouvais au milieu d’une mer houleuse. Je plongeais dans son eau troublée, m’éloignant à regret du rivage où je suis née, nageant avec espérance vers une rive inconnue.
    Un jour, une évidence s’imposa à mon esprit; je compris que si nous voulions continuer à vivre, il fallait fuir ces lieux, car je me sentais tomber dans un puits sans fond. Il fallait quitter notre pays pour chercher asile ailleurs afin d’éviter de vivre dans l’humiliation et dans la soumission. Dieu sait si la déchirure fut profonde !!!
    Une idée germa en moi. Je devais regagner la France avec mon frère et mes sœurs et laisser mes parents régler leurs affaires en Algérie pour nous rejoindre ensuite. L’idée d’une fuite, d’une évasion possible ne me quittait plus et se précisait de plus en plus.
    Partir…
    Je regardais sur un livre de géographie un plan plus détaillé de la métropole et j’étudiais les endroits où éventuellement je pouvais me rendre. J’avais également à l’époque dans ma chambre un globe terrestre, qui jusqu’à présent ne m’avait fait mesurer que l’immensité du monde; moi qui, enfant, ne connaissais que la maison où j’habitais et le jardin qui l’entourait. Je suivais du doigt les fines lignes rouges, contournant la boule lisse de mon globe. En pointant mon index sur un point, je me disais « Pourquoi, ne pas aller dans la région marseillaise? » Cela me paraissait être la destination la plus simple venant de chez nous.
    Je mis mes parents dans la confidence, ils manifestèrent pendant deux, trois jours de la réticence à nous laisser partir. Puis les évènements s’aggravèrent, ce qui accéléra la prise de décision de rentrer en métropole, avec mon frère et mes deux jeunes sœurs.
    Le cœur serré, nous allions à l’aventure, cette terre allait se dérober sous nos pas, comme si elle s’était écroulée devant nous et qu’il n’était plus possible de revenir en arrière.

  9. octobre 2023

    Où vas-tu de la sorte ?
    Je partais, je quittais, je fuyais, seule, sans voir, sans penser, sans parler, sachant bien que j’irais où je devais aller : au cimetière de Rio Salado.
    Hélas ! Je n’aurais pas pu dire que je souffre ! Que le chemin fut, beau, pluvieux, froid, mauvais, j’ignorais, je marchais, je marchais. rien ne me retenait et j’allais maintenant sur la tombe de mes aïeux.
    Oh! que de fois, sachant que tu devais m’attendre grand-père, j’ai pris ce que j’ai pu trouver de plus beau au village pour garnir la tombe. Je n’ai pas eu à charger quelqu’un d’El Malah qui passait par là.
    Je sentais le vent souffler dans les cyprès. Je pensais t’entendre dire grand-père : où vas-tu de la sorte ? Comme tu nous le disais souvent et puisque Dieu ne veut pas te laisse revenir alors, je dirai une prière ! Ta tombe est ma chance de pouvoir te prier, c’est mon espoir, ma foi, ton linceul toujours flotte, entre toi et nous.
    Quoi que nous fassions, quoi que nous disions, nous arrivons à cette solitude et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude !
    Que le chemin fut, beau, pluvieux, froid, mauvais, j’ignorais, je marchais, là où je devais aller, jusqu’au cimetière. Rien ne me retenait et j’allais maintenant sur ta tombe, grand-père, toi le seul que j’ai connu.
    Si depuis plus de soixante ans je ne suis pas venue, oh! que de fois, j’ai pensé à toi, sentant que tu devais m’attendre, j’ai pris la décision de passer quelques heures à tes côtés.
    Dormez, dormez , grand-père ! Les fleurs aiment les morts ! Puisque Dieu ne veut pas te laisser revenir, puisqu’il nous fait lâcher, ce qu’on croyait tenir, je dis à cette tombe : Paix à l’ombre des cyprès, dormez, dormez! Grand-Père, dormez, dans cette tombe, à l’infini.
    Maintenant à Rio, ses pavés et ses marbres sont tout près de mes yeux. Je suis sous la beauté des cyprès, je ne puis songer qu’à la beauté du lieu. Je sens, le calme, la paix qui m’entre dans le cœur. Émue par ce tranquille horizon, je viens à vous, Seigneur, mon père! père auquel, il faut croire ; je conviens que vous seul savez ce que vous faites, et que l’être vivant n’est qu’un jonc, qui plie au vent ; je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu.
    Mais Seigneur, laisse- moi me pencher sur cette froide pierre et dire à mon grand-père :
    sens-tu que je suis là ?

  10. L’air vibrait du vol des insectes, le soleil calcinait la terre. Dès mon arrivée à la maison, le portail ouvert, les arômes du passé sautèrent aux narines.
    Je pouvais oublier certaines images des personnages de mon entourage, mais pas les senteurs du lieu, qui était la trame de mes souvenirs. Cette maison avait été ma vie et mon orgueil, le sort me l’avait retirée.
    Je touchais les vieilles pierres d’un muret avec un respect quasi religieux. Émue j’étais incapable de proférer un son, je paraissais ivre d’espace et de verdure. Je retenais mon souffle comme pour prolonger cet instant secret de mon existence dans ce lieu où d’un seul coup, tout ressemblait à un rêve, un songe bref et beau qui me consolait de l’autre vie, celle de métropole. Ce souvenir plus que les autres m’aidait à vivre.
    Je pouvais entrevoir l’intérieur de la cour où des roses au doux parfum régnaient parmi les fleurs ; quelques iris se balançaient au vent léger.
    Rien n’avait changé, pas même l’humble tonnelle. Une voûte cintrée servait d’entrée principale.
    La demeure était simple, agrémentée d’une cour, là grimpait une vigne vierge. Je paraissais pensive, pleine de regrets car ce bien nous avait été confisqué. Le lieu était vide, calme, les gens devaient être dans les champs. Tout semblait mort subitement, cette solitude me pesait.
    — Ma maison me regarde, sans me reconnaître dis-je !
    Je voyais basculer dans une brume, un large pan de son enfance, me grisant de lumière, de brillance. À ce moment-là, l’image de mes parents s’imposait à mon esprit. J’observais, sous l’ombrage d’un robuste faux lilas qui assurait un verdoiement perpétuel, l’immense table autour de laquelle toute sa famille aimait se retrouver, et qui, aux périodes de vacances, n’avait jamais assez de rallonges. Les repas dans ces lieux étaient généreux et duraient des heures malgré les mouches affolées qui virevoltaient. J’avais pour mes parents une vive tendresse. Je me les représentais parlant d’une voix étouffée si bien
    que je ne comprenais rien de leurs propos.
    J’aurais voulu m’enivrer de leurs paroles et de leurs regards. En fermant les yeux, je pouvais les imaginer près de moi, sentir leur souffle, me remémorer le sourire rayonnant de ce père pour qui j’ avais un grand respect.
    La vie paraissait rose dans mes pensées d’enfants, dans ce havre de paix ; les souvenirs de cette douceur de nid me chaviraient le cœur.
    À l’époque de leur présence dans ces lieux, l’animation intense l’emportait par de beaux rires aux éclats ; moi, autrefois, si débordante de joie, me mourais maintenant d’ennui et d’angoisse ; triste cadeau du destin!
    Subitement, toute évocation devenait confuse ; sons et images se mêlaient comme les teintes des pinceaux se diluent sur la palette. Je m’imaginais voir, mes parents, mes sœurs et frère déjeunant sous les arbres ; leurs visages souriants perdaient leur couleur. Leurs traits apparaissaient dans une sorte de brume qui s’évanouissait ; provoquant chez moi de la tristesse pour ces périodes pleines de délices et parfois si cruelles, pouvant être obscures ou lumineuses. Toute ma jeunesse s’était écoulée dans un univers privilégié, protégé des aléas de la vie ; grâce au profond amour qui unissait mes parents et qu’ils avaient su donner en retour à leurs enfants.

  11. Qui se souvient !

    Lorsque les forains s’installaient sur la place du village, enfants, nous allions à intervalles réguliers les regarder s’activer et priions pour que la fête ne prenne pas de retard.
    Rassurés, nous contemplions les structures des stands dressées peu à peu.
    Le village était décoré avec faste. Nous nous émerveillions à la vue d’ ampoules électriques qui pendaient en guirlandes d’une façade à l’autre. Lors des essais d’allumage, nous avions le souffle coupé.
    C’était l’occasion pour les jeunes filles de se vêtir de pimpantes toilettes décolletées en cotonnade fleurie. Elles se ruinaient en achats de robes, de colifichets et chacune se trouvait plus belle et plus luxueusement habillée; il s’agissait d’impressionner les jeunes cavaliers.
    Quant aux garçons, ils gardaient au fond de leur poche des économies amassées en secret afin de profiter pleinement des attractions.
    Tôt le matin, nous regardions par la fenêtre de la chambre et guettions le signe de ce jour qui ne se décidait pas à paraître; le ciel de suie n’annonçait pas de vraie lumière. Nous étions impatients!
    Dès dix heures, les premières notes égrenées par l’orgue de Barbarie du manège de chevaux de bois se faisaient entendre, annonciatrices du début de la fête. Nous errions, le sourire aux lèvres, un peu au hasard, nous arrêtant devant les baraques foraines assaillies par les passants; les enfants se bousculaient vers les balançoires en forme de barques.
    Le mât de cocagne retenait toute notre attention; enduit de savon noir, il attirait les plus téméraires. De jeunes hommes se défiaient, arborant fièrement leur force, c’était un combat difficile. Lorsqu’ils réussissaient, ils se présentaient devant nous avec des trémoussements de joie, gonflant leur poitrine et montrant leur semblant de muscles ! Que dis-je? Leur puissante musculature … Nous étions impressionnées par leurs exploits.
    Les odeurs de gaufres, de caramel, de praline parfumaient les lieux; le sucre se collait aux joues des enfants. Les barbes à papa défilaient sous nos yeux à un rythme époustouflant.
    La liesse était générale, une atmosphère de kermesse régnait sur la place de Rio, tout le monde parlait en même temps, se laissant emporter par ce tourbillon de réjouissances.
    La douceur de la nuit donnait un éclat supplémentaire aux festivités. Les étoiles, une à une, émaillaient le ciel et laissaient présager de merveilleuses journées ensoleillées. La musique enveloppait tout le village, le vin grisait certains d’une gaieté insouciante et d’autres s’étourdissaient en paroles. Parfois la fête terminée, il arrivait qu’un garçon raccompagnât une jeune fille chez elle, le long de la route obscure, sous un ciel rutilant d’étoiles, le couple cheminait tendrement, puis se séparait sous l’inlassable chant de grillons. Peut-être une nouvelle idylle se préparait- elle?
    Une fois rentrées chez nous, des heures s’écoulaient avant que tout le monde ne s’endorme. La nuit était empreinte d’une lourde chaleur qui entrait par la fenêtre grande ouverte. Dans le ciel d’encre, un fourmillement d’astres remplissait la voûte céleste. Nous trouvions enfin le sommeil dès que les derniers accents de la fête cessaient. Nous étions capables de danser toute la nuit et d’être, le lendemain matin, les premières levées, fraîches comme des boutons de rose. J’ai beaucoup voyagé et vu de merveilleux endroits, pourtant aucun, si somptueux soit-il, ne me fera oublier mon village natal Rio Salado.

  12. C’était toi, maman qui nous réveillais le jour des vacances d’été, il était tôt, la lumière du ciel éclairait déjà notre chambre, tu nous pinçais le nez, nous chatouillais nos pieds, et quand nous décidions à ouvrir les yeux tu annonçais que c’était le jour du départ pour la plage de Turgot, il fallait se lever, s’habiller, déjeuner au plus vite parce que le camion était prêt à prendre la route et à nous transporter au bord de mer.
    Le camion bourré de bagages et conduit par notre père quittait Rio Salado, pointait comme un animal habitué au trajet son museau dans la direction de la Méditerranée en se jouant des détours du chemin, et nous, errants, nous ne nous lassions pas de redécouvrir ce qui était pourtant si familier, l’odeur des pins, de sel marin, les bouquets de palmiers. Nous souhaitions qu’une chose, arriver au plus vite à la plage, jeter nos habits et plonger dans les vagues. Quand le camion est arrivé, nous avons sauté dès qu’il s’est arrêté devant le cabanon, nous sommes descendus et avons couru entre les lentisques pour rejoindre la mer, y tremper nos pieds, tout en fermant les yeux, oublié nos tourments d’écolière, nous voulions profiter le plus agréablement possible de notre séjour à Turgot plage.

  13. À la fin de l’été lorsque les plantes brûlées par le feu du soleil s’inclinent sur leur tige et meurent. À l’heure où le soleil d’été calcine le chiendent des chemins pierreux, ma plage de Turgot aux reflets d’argent me manque, ses vagues aux franges de dentelles caresseraient ma peau de leur écume d’une douceur étrange. Si tu passes un jour en août, étranger, tu sentiras le parfum iodé d’algue, d’oursin, de sel, de corail, de cette mer qui te bercera de ses flots ; tu connaîtras l’ivresse du bourdonnement de la houle lointaine, qui montera jusqu’aux oreilles.
    Tu verras, lorsque toutes les dunes aux plissures d’étoffe prendront la couleur d’un jaune ocré, elles dégageront une chaleur qui apaisera ton âme. Alors, tu verras ton cœur s’offrir à cette plage et tu me diras que j’ai perdu un paradis.

  14. Les villes ne valent pas seulement par leur site ; mais par leurs monuments, par le génie industriel et par les exemples qu’elles donnent. L’histoire d’une grandeur durable par l’effort est la meilleure leçon qui soit. Salut à toi, Rio-Salado, commune du bon vin et de cette joie de vivre !
    Ce fut toujours une vie ardue, luttant sans trêve, tu te déchaînais contre tous les éléments : la sécheresse, l’incendie, fléau périodique, la peste et le choléra. Mais l’épreuve était pour toi pressentiment d’aube et source de gloire. Et chaque échec était suivi d’un rêve plus grand, d’une action plus tenace encore. Ton agonie s’est appelée résurrection. Et cette résurrection vint de ses habitants confiants, que tu aimais tant. Il ne suffisait pas cependant d’affirmer ce principe au milieu d’un monde hostile. Une conquête de cette importance ne pouvait être assurée que par l’effort et malheureusement par le sang.
    Et toi, terre vengeresse, pendant plus d’un siècle tu as exprimé et réalisé ce désir grâce à la persévérance.
    Sois béni, toi qui fus également le village de nos aïeux !

  15. Chers amis, je vous aime beaucoup parce que vous êtes restés des enfants qui portent un tourment et que dans une enfance normale il y a toute la fraîcheur des choses matinales, toute la grâce de Dieu non ternie par les hommes. Je vous aime aussi parce que vous êtes des orphelins ou orphelines et que vous souffrez de cette souffrance qui est pire que toutes les douleurs matérielles, celle qui est l’isolement du cœur. Je vous aime enfin parce que vous représentez ici le morceau déchiré de la robe sans couture d’une partie de la France : cette Algérie que vous gardez encore avec joie et tristesse dans vos yeux d’enfant ; image inconsolée de la patrie perdue. Vous prolongez dans la grande patrie la survivance du souvenir, de l’affection et des regrets à mesure où l’on se rapproche du terme de la vie. Vous serez sensibles à d’autres persécutés et vous penserez à vos pères ; il y a plus de cinquante-cinq ans, poussés loin de leur village natal, bien loin de leurs demeures usurpées, cherchant à tout hasard un coin où s’abriter. Malgré notre peine, nous avons en pensée, les dimanches de Pâques où nous allions cueillir la marguerite blanche, le coquelicot rouge et les bleuets tout bleus aux couleurs de la France afin de prolonger dans la grande patrie la survivance du souvenir de notre terre natale. Cette patrie que vous pleurez, il ne faut pas la pleurer stérilement ; mais partout où vous irez, faites- la estimer et honorer en vous.

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