Il est 11h, on vient de sortir de la messe et on va au « stade du Basket ». La J.S.S reçoit la J.P.B.S (Beni Saf) bien sur le match est « chaud » et « ON » gagne. Soudani, le benisafien, n’a pas réussi. Roger Gimenez a marqué à lui seul 60 points. Palomo, Fuentés, Perlès de Témouchent (celui qui avait les doigts coupés) et Rabattel d’Ain el Arba étaient là, bien sûr.
12h30. Pour fêter la victoire (mais est-ce qu’on avait besoin d’une victoire pour ça ?) On va boire l’anisette. Je demande aux lecteurs de bien vouloir compléter en signalant les bars que j’aurais oubliés. Merci. Il y en avait 13, je crois.
On arrive sur la place. On va chez Davos, puis chez Mico, Macia, Ruiz, Parès , Ralenti , Reyne, Bru, Gatti.
Puis, on va déjeuner parce qu’à 15h, il y a le match de foot au stade (derrière le cimetière) contre l’USMO d’Oran. Si l’arbitre -qui vient d’Oran- triche et qu’on perd, il va y avoir de la castagne. Alors, on va à coté des « grands » : Lucien (Viruega), Jean Claude (Povéda), Yvon (Mourcet) et les autres. Remarque : avec Canizares de Bel Abbes en attaque et Sanchis et Méméto à l’arrière, on est tranquilles.
Juste après le match, on va au cinéma au Casino, chez Rocher. On lui a dit d’attendre la fin du match pour commencer la séance. Il est d’accord! Aujourd’hui, le film au Casino est mieux qu’au Vox, chez Fuentes.
Au sortir, on va « faire le boulevard ». On passe chez Mingo prendre des torraïcos, des tramoussos. On va s’attabler chez Parres. On commande, chez la Sultana, quelques brochettes de cœur, de foie et de rognons blancs. Peut être même, une tranche de Melsa.
Comme je n’aurai plus faim, ma mère va me dire :
– Qu’est ce que tu as? Tu es malade ? Tu ne manges pas!
Je lui répondrai :
– Non ! c’est que je pense déjà que demain il faut aller au lycée à Oran et je suis triste de partir……
Bon dimanche à tous
René CARDONA (Abidjan 26/11/06)
P.S. : N’oubliez pas de compléter la liste des bars pour notre mémoire collective. Merci
16 réflexions sur « Un dimanche à Rio. »
Je recherche Rosello Marcelle Alec qui j’etais au Cours Henry IV a Nice .Merci
Complément d’ informations concernant les bars » les cafés » du village: ( de Témouchent vers Oran)
Le café GATTI bvd national-Le café DAVID (SANCHEZ et le GAULOIS autrefois) bvd national- Le café CONTRERAS toujours sur le boulevard- Le café BAU rue maréchal Foch- le café REQUENA autrefois DURA et PADOVANI-et le Café DAVOS autrefois café GARAIT-sur le boulevard national – Le café MICO autrefois NIETO rue maréchal Foch-Le café maure de RALHEM rue P. Pouyau- Le café MACIA rue maréchal Joffre- dans la même rue le café BERNABEU autrefois Café VARGAS- Le café PARRES à l’angle de la place et du bvd national- toujours sur le bvd le café RALENTI de son vrai nom SERANO- et le dernier toujours sur le boulevard, le café REYNE . Voilà, vous avez fait la tournée des bars , inutile de vous dire dans quel état vous terminiez!!!! surtout s’il y avait le »remété »…….
N’oublions pas cependant que chaque bar avait ses habitués. La gente masculine saladéenne se donnait rendez-vous au café Reyne , Parres ………pour une partie de carte, ou simplement retrouver les amis en fin de journée afin de « refaire le monde ».
La vie au village.
Pendant les fêtes, jeunes, vieux s’extasiaient devant les vitrines des magasins. Le boulevard national scintillait de mille feux. Les villageois flânaient, s’attardaient devant les étals garnis d’objets de convoitise. Le souvenir de ces périodes festives provoque en moi un élan de mélancolie mêlé de bonheur.
A Noël, les nombreux jouets exposés dans la vitrine de Madame NAVARRO, sur fond de velours rouge faisaient la joie des enfants.
A la mi-carême, pour Carnaval, le style changeait, apparaissaient, avec les masques appropriés, de beaux déguisements, ceux de Cendrillon, de Zorro, du petit Chaperon rouge, de Charlot, d’Esméralda, Quasimodo, du Domino…..Ainsi que quelques costumes représentant le terroir de notre lointaine Patrie, Alsace, Bretagne, Provence…. Tous ces déguisements et ceux des provinces de France se louaient pour la circonstance. L’émotion grandissait à la vue d’une cocarde tricolore, la notion de Patrie embuait nos yeux.
Tous les villageois déambulaient le long du boulevard, et relisaient pour la énième fois les affiche de cinéma qui changeaient de semaine en semaine. Nous allions voir un film quand l’envie nous prenait.
La façade des cinémas »Vox et Casino » était déjà défraîchie par le temps, la peinture s’écaillait, jadis, les gens choisissaient leur rangée dans la grande salle vide d’un air très solennel et chuchotaient en marchant.
Nous avions le sentiment d’être les premiers à découvrir une copie neuve que les yeux n’avaient pas encore usée. Je garde une certaine nostalgie de cette époque, peut être parce qu’il s’agissait de mes premiers souvenirs…..
Avec les années on se laisse envahir par ces choses disparues….Tous les films américains en noir et blanc déferlaient sur nos écrans, les films d’aventure, les policiers, les capes et épées, les westerns. Ils véhiculaient du rêve à pleine toile.
Maintenant, on ne les voit plus avec autant d’intensité et je le regrette.
De ces années de jeunesse, je garde le souvenir d’une soif de vie qui dévorait tous les gens de mon village. Je garde de ces jours des rayons de soleil, des promenades, des discussions entre amies.
Lorsqu’une personne approche du terminus, elle est à la recherche de ses racines, pour s’en imprégner une dernière fois. Tant qu’elle ne les a pas revues ou ressenties, elle n’a pas retrouvé la paix en elle!
Je sens, sans être capable de l’expliquer, que le retour au pays natal (l’Algérie), m’aiderait sûrement à effacer cette nostalgie encore vivace, comme si le fait de revoir les lieux de mon enfance m’apportait l’apaisement auquel j’aspire si profondément ou me permettrait tout simplement de mettre un point final à ma vie de déracinée.
La raison de revoir mon pays après tant d’années pourrait être assimilée à de la simple curiosité.
Pourtant, lorsque je contemple une photographie jaunie de mon village, je ressens une sorte « d’appétit » des yeux.
Mais je suis intimement persuadée que la réalité ne saurait égaler la beauté de mes rêves. J’éprouve effectivement la crainte d’être déçue, la crainte de ne pas retrouver le Rio Salado de mon enfance. Peut- être parce qu’il n’y a plus un sourire bienveillant qui vous attend sur le pas de la porte, une odeur familière de gâteaux qui se dégage de la cuisine, des rires d’enfants qui s’élèvent d’une chambre…
Et pourtant, j’aimerais sentir à nouveau l’odeur si particulière des choses vécues, usées par le temps…Les murs de ma maison d’un granité saumon doivent sûrement être à présent délavés et ne doivent plus contenir la féerie de l’existence heureuse de mon enfance !
En général, pendant les mois d’été, la vie à Rio Salado était calme. Moins grouillante qu’Oran, ou la petite ville voisine, Ain Témouchent, elle était néanmoins plus animée que Turgot le village le plus proche.
Toutes ces villes et villages tournaient au ralenti ; l’air flamboyait, la terre était assoupie dans sa robe de feu.
Ce climat étouffant faisait sombrer le pays dans une torpeur physique et intellectuelle.
Nous aimions cette saison ; nous l’aimions d’autant plus qu’elle était, pour nous, synonyme de vacances.
C’est à cette époque de l’année, que nous migrions vers Turgot plage, notre paradis d’été, qui me
paraissait le bout du monde.
Ma famille ne voyageait pratiquement jamais excepté du début juillet au 15 août, elle quittait Rio Salado pour aller au bord de l’eau. C’était les seules vacances de l’année. Elle désertait la fournaise du village pour le charme ventilé de la plage où la seule vue de la mer suffisait à nous rendre heureux.
Maman restait le plus souvent avec nous mais de temps en temps elle retournait au village pour le
ravitaillement ; quant à papa, il se préparait à affronter la saison des vendanges, période de pointe dans son travail.
Alors qu’en métropole, des slogans vantaient les charmes de villégiatures lointaines ; chez nous, seules les affiches des compagnies de chemins de fer étaient évocatrices d’évasion ; mais nos déplacements se limitaient la plupart du temps à des balades en famille à la campagne. Nos gares ne connaissaient d’attentes fiévreuses qu’en période de grands départs, en début et en fin de congés scolaires.
TURGOT PLAGE, lieu paradisiaque des vacanciers qui a peuplé notre mémoire d’images de bonheur. Ce nom évoque à lui seul nos courses sur la rive sablonneuse, le bas de nos pantalons retroussé ou de nos robes relevées afin d’éviter les éclaboussements de la mer couleur émeraude ; nos rires retentissaient au loin, mêlés aux cris des mouettes.
Parfois, du haut de la dune où tout était habituellement que paix et harmonie, le vent du sud soufflait joyeusement et s’engouffrait sous nos jupes en les faisant gonfler comme des voiles ; le sable tourbillonnant nous empêchait d’avancer.
Les algues disséminées sur le sable chargeaient l’air d’un parfum iodé si intense, qu’à plusieurs reprises nous nous arrêtions pour le respirer profondément. En se remplissant nos poumons d’air marin, nous chassions le souvenir de l’année scolaire, purifions notre esprit, et vivifions notre corps.
Qui se souvient …
Lorsque les forains s’installaient sur la place du village, enfants, nous allions à intervalles réguliers les regarder s’activer et priions pour que la fête ne prenne pas de retard. Rassurés, nous contemplions les structures des stands, se dresser peu à peu. Le village était décoré avec faste.
Nous nous émerveillions à la vue d’ampoules électriques qui pendaient en guirlandes d’une façade à l’autre. Lors des essais d’allumage, nous avions le souffle coupé. C’était l’occasion pour les jeunes filles de se vêtir de pimpantes toilettes décolletées en cotonnade fleurie. Elles se ruinaient en achats de robes, de colifichets et chacune se trouvait plus belle et plus luxueusement habillée ; il s’agissait de faire impression sur les jeunes cavaliers.
Quant aux garçons, ils gardaient au fond de leur poche des économies amassées en secret afin de profiter pleinement des attractions.
Tôt le matin, nous regardions par la fenêtre de la chambre et guettions le signe de ce jour qui ne se décidait pas à paraître; le ciel de suie n’annonçait pas de vraie lumière. Nous étions impatients!
Dès dix heures, les premières notes, égrenées par l’orgue de Barbarie du manège de chevaux de bois se faisait entendre, annonciatrices du début de la fête. Nous errions, le sourire aux lèvres, un peu au hasard, nous arrêtant devant les baraques foraines assaillies par les passants ; les enfants se bousculaient vers les balançoires en forme de barques. Le mât de cocagne retenait toute notre attention ; enduit de savon noir, il attirait les plus téméraires. De jeunes hommes se défiaient, arborant fièrement leur force, c’était un combat difficile. Lorsqu’ils réussissaient, ils se présentaient devant nous avec des trémoussements de joie, gonflant leur poitrine et montrant leur semblant de muscles… que dis-je? Leur puissante musculature… Nous étions impressionnées par leurs exploits. Les odeurs de gaufres, de caramel, de praline parfumaient les lieux ; le sucre se collait aux joues des enfants.
Les barbes à papa défilaient sous nos yeux à un rythme époustouflant. La liesse était générale, une atmosphère de kermesse régnait sur la place de Rio, tout le monde parlait en même temps et se laissait emporter par ce tourbillon de réjouissances.
La douceur de la nuit donnait un éclat supplémentaire aux festivités. Les étoiles, une à une, émaillaient le ciel et laissaient présager de merveilleuses journées ensoleillées. La musique enveloppait tout le village, le vin grisait certains d’une gaieté insouciante et d’autres s’étourdissaient en paroles. Parfois la fête terminée, un garçon raccompagna une jeune fille chez elle, le long de la route obscure, sous un ciel rutilant d’étoiles, le couple cheminait tendrement, puis se séparait sous l’inlassable chant de grillons. Peut-être une nouvelle idylle se préparait-elle?
Une fois rentrées chez nous, des heures s’écoulaient avant que tout le monde ne s’endorme. La nuit était empreinte d’une lourde chaleur qui entrait par la fenêtre grande ouverte. Dans le ciel d’encre, un fourmillement d’astres remplissait la voûte céleste. Nous trouvions enfin le sommeil dès que les derniers accents de la fête cessaient.
Nous étions capables de danser toute la nuit et d’être le lendemain matin, les premières levées, fraîches comme des boutons de roses.
A Rio Salado, au-delà de l’entente familiale, il existait une véritable entente cordiale entre les villageois. Ils étaient très respectueux les uns envers les autres. Il y avait comme partout des personnes hautaines mais peu étaient envieuses ; heureusement car l’envieux en mourant éteint volontiers le soleil pour que personne n’en jouisse après lui.
Lorsqu’un commerçant décédait, toutes les boutiques du village fermaient leurs volets par respect pour l’un des leurs. Les propriétaires se tenaient devant leur magasin, droits, le visage attristé, leur chapeau, béret, ou chéchia à la main, en signe de recueillement.
Insensibles à la sueur qui ruisselait sur leur visage et imprégnait leurs vêtements, ils restaient imperturbables, attendant que le cortège funeste passe
le long du grand boulevard national pour se rendre à l’église, puis au cimetière.
La mort de Christian Garait et Richard Pérez endeuilla tout le village. Ces deux enfants de notre commune, beaux comme des astres, partirent pour un voyage sans retour.
Ils excellaient en sport et notamment en basket.
J’assistais fréquemment à leurs matchs en compagnie d’autres camarades ; nous nous comportions telles de véritables groupies.
Nous les regardions fascinées par la beauté de leurs gestes, leur agilité. Ils étaient la coqueluche du village. Toutes les têtes se tournaient vers eux comme les tournesols vers le soleil.
Alors qu’ils poursuivaient leurs études, un accident de voiture leur ôta la vie.
Ne plus les revoir nous paraissait bien cruel…Partir si jeunes… La mort d’un adulte est violente mais celle d’un enfant l’est encore plus.
La jeunesse est un bien sans prix que nul ne peut acheter, mais que l’on perd parfois par insouciance.
Le jour de leur enterrement, l’église était pleine. Tous les habitants de Rio Salado étaient là. La foule endeuillée, muette et profondément attristée assistait aux obsèques de ces deux personnes tant admirées.
Ce funeste événement affecta profondément notre village ; ces jeunes laissèrent un grand vide derrière eux.
« Ne comparez jamais votre vie à celle des autres, vous n’avez aucune idée de ce que sera le voyage de chacun. »
Il faut être toujours ivre, tout est là : c’est l’unique question pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous rend si morose, il faut vous enivrer sans cesse.
Mais de quoi ? Pas de vin, de lecture de poésie de vertu ou de voyage, à votre guise. Mais vous enivrez. Et si quelquefois, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent qui détale le plus vite, à la vague prise dans l’affolement de fuite à l’étoile avant qu’elle ne s’éteigne à l’oiseau qui réjouit l’âme par son chant, à l’horloge quand l’heure vient de tinter, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout se qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est, et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « il est l’heure de s’enivrer ! pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps et du souvenir,
enivrez- vous ; enivrez- vous sans cesse de lecture, de poésie, de vertu ou de voyage, à votre guise. »
A Rio Salado
L’Abbé Plénier suscitait une grande admiration auprès de ses paroissiens; ces derniers étaient captivés par l’exaltation qui émanait de ses sermons. Il faisait vibrer la sensibilité religieuse afin que toutes ses ouailles s’en imprègnent et la mettent en pratique au quotidien.
Pendant ce temps, les hommes se contentaient d’entendre l’office de loin et ne se dérangeaient pas pour aller à la paroisse Saint Michel, excepté lors d’un évènement qui les touchait de près tel qu’un baptême, une communion, un mariage ou un enterrement.
Peu tourmentés par l’ardeur de la foi, ils clamaient haut et fort que la véritable religion se cultivait dans l’âme avant de se pratiquer dans les lieux de cultes.
Les maris envoyaient donc leur femme à l’église prétendant qu’elles leur feraient gagner le paradis et pendant ce temps ils refaisaient le monde… C’était la « Gazette villageoise. »
Dans les bars, le brouhaha était à son comble. L’air était irrespirable et empestait l’odeur de cigarettes mêlée à celle de boissons alcoolisées ou non telles que l’anisette, le vin, la bière, le café, ainsi que des effluves de cacahuètes grillées, olives, torraïcos, escargots sauce piquante, poulpes en salade, fèves au cumin, melsa, boquerones. Chaque verre rempli était accompagné gratuitement de Kémia. Les hommes étanchaient souvent leur soif avec une bonne anisette.
Les conversations trop fortes étaient parfois
incompréhensibles ; ils abordaient tous les sujets sans les approfondir vraiment afin de ne pas ennuyer ceux que çà n’intéressait pas.
Parfois, ils profitaient de ces instants de convivialité pour traiter rapidement certaines affaires professionnelles et il n’était pas rare de les voir se toper dans la main en guise d’accord.
Une fois la messe terminée, dès les beaux jours, les femmes marquaient le dimanche en ouvrant, sur le pas de l’église leur ombrelle, considérée comme un article de luxe et cela afin de protéger leur teint des ardeurs du soleil. Puis elles prenaient le chemin du retour en toisant avec une insolence tranquille leur homme installé à la terrasse d’un café. Lorsque la cloche annonçait la fin de l’office, ils revenaient à leurs plus humbles préoccupations, puis tous s’en allaient contents de ces bons moments passés ensemble.
Après l’exode, nous connûmes, durant des années, des moments très difficiles, avec un horizon parsemé d’embûches comme la plupart de nos concitoyens d’Algérie. L’amour que nos parents nous portaient était notre survie pendant ces dures épreuves et nous donnait du courage afin de ne pas sombrer dans le désespoir.
Les premiers temps, nous pleurions notre patrie
Lointaine, nous nous consolions comme nous le
pouvions. Oublier…. Était- ce possible ?
Rien ne peut effacer la nostalgie d’une enfance
Heureuse, la tendresse du jeune âge avec ses émotions et son bonheur disparu. Nous avons un seul printemps dans l’année et dans la vie une seule jeunesse.
Nos parents cultivaient toujours la mémoire de
l’Algérie française, des photos de là-bas enjolivaient notre appartement.
Nos souvenirs de jeunesse égayaient la maisonnée dans un flot de conversations et de rires.
Nous nous remémorions notre village et ses rituels aussi anecdotiques soient – ils : l’heure à laquelle le facteur distribuait le courrier, l’appel de la prière entonné par le Muezzin depuis la mosquée du village, le son cristallin de la cloche de l’église qui égrainait les heures, le bruit de la draisine suivi quelquefois du sifflet lointain de la locomotive du train et le plus souvent du klaxon de la Micheline. Nous aurions voulu que le temps s’arrête afin de retrouver le goût et les émotions d’autrefois ; ce bonheur que nous croyions éternel.
Après l’indépendance, je pensais souvent à notre cimetière, qui s’étendait à l’ombre des cyprès ; chiendents et ronces se disputaient la place, les journées entières s’y écoulaient sans qu’aucun être vivant ne trouble la paix des morts, sauf en période de fêtes du douar voisin, où la vie s’animait et rompait la solitude de nos défunts.
Usées et meurtries par le temps, certaines croix s’inclinaient à droite, à gauche, suivant le souffle du vent, éloignant les oiseaux de mauvais augure.
Je pensais à mon église, devenue une bibliothèque, au sein de laquelle prières et cantiques ne résonneront plus. L’âme de plus d’un siècle de vie française n’y palpite plus. Cet édifice conservera au moins sa dignité et ne tombera pas en décrépitude et désolation comme beaucoup d’autres…
Nos architectes ont trouvé l’art de faire jaillir de notre terre natale, des églises, des mosquées, des monuments en harmonie intime avec le paysage. Les sculpteurs ont reproduit, sur la pierre, la flore de nos campagnes et taillé des statues à l’effigie de nos héros.
Pourquoi la fureur s’est-elle acharnée contre nos maisons, nos caves vinicoles, nos vignes et nos monuments ? Ces vestiges ont traversé parfois plus d’un siècle et demi, et sont le témoignage de notre art, de notre histoire, de notre passage sur ce sol.
« Mais quelques vains lauriers que promette la guerre, on peut être héros sans ravager la terre ».
Avant de n’être qu’un entassement de pierres brisées et calcinées, ces ruines étaient de belles caves à vin, construites par ceux qui nous ont précédés sur le sol d’Algérie, de belles maisons en pierre de taille, aux balcons fleuris.
Cela est un crime, que d’effacer les empreintes successives imprimées dans la pierre par la main et l’âme de nos aïeux.
Je pensais aux rues de Rio Salado, qui m’emplissaient de bien-être, me rendaient équilibre et sérénité. Les hirondelles par dizaine maçonnaient leurs nids sous les toits des maisons, leurs vols effleuraient perpétuellement les façades des bâtisses ; voilà les images que je revoyais de mon Algérie, de mon village, de ses habitants si travailleurs et si attachants. J’imaginais que, sur un mur du village on pouvait y lire l’inscription suivante :
« PASSANT, SOUVIENS TOI QUE SUR CETTE TERRE JADIS ONT VECU AUSSI DE BRAVES GENS ! »
De mes années de jeunesse, je retiens la soif de vivre qui dévorait tous les gens de mon village. Je garde de ces jours les rayons de soleil, les promenades, les discussions entre amies.
Adolescentes, la mode et les belles tenues vestimentaires étaient très souvent au centre de nos conversations. Il n’était pas nécessaire de vivre en ville pour porter les derniers modèles en vogue.
Dans la rue principale, Madame Navarro disposait avec goût dans sa vitrine robes, chemisiers, jupes du dernier cri.
Nous nous informions des nouveaux styles vestimentaires en feuilletant les magazines de mode tels que Marie Claire, Vogue, Femmes d’aujourd’hui, Modes et travaux, que nous achetions chez la libraire.
Tout ce qui venait de Paris possédait un parfum grisant de modernité.
Ce passe-temps n’était pas apprécié des anciens qui estimaient qu’à leur époque, « on avait mieux à faire que de penser Chiffons ». La mini-jupe outrageusement courte était mal acceptée au village ainsi que le port du pantalon pour les filles lancé par Coco Chanel.
Vivant en vase clos, l’opinion des gens avait grande importance. Certains ricanaient et disaient :
« des étoffes légères pour femmes légères ». Ils n’étaient
toutefois pas les derniers à se rincer l’œil…
Il suffisait de les observer et les voir interrompre leur partie de
cartes ou de dés sur la terrasse du café afin de lorgner les plus audacieuses des jeunes filles du village et s’empresser ensuite de porter tel ou tel jugement.
A cette époque, j’étais trop jeune pour penser aux garçons et trop grande pour oser en parler sans prendre la teinte d’un coquelicot ; s’embrasser en public ne se faisait pas, un petit bonjour de la main suffisait.
C’était le soir à la nuit tombante que les bruits de voix, de rires s’amplifiaient surtout en période estivale. Les jeunes filles coquettes portaient des jupons amidonnés qui leur donnaient une démarche chaloupée et laissaient sur leur passage un sillage parfumé.
Les garçons rasés de près, magnifiquement chics, divinement élégants, se rendaient au cinéma. Tous les villageois déambulaient le long du boulevard, prenant toute la largeur de la nationale et relisaient pour la énième fois les affiches de cinéma qui changeaient chaque semaine. On venait dans ce lieu en voisins, par groupe, par famille, afin de se distraire.
A l’intérieur de la grande salle vide, les gens chuchotaient en marchant tout en choisissant leur rangée, prenant un air très solennel. D’autres étaient conduits à leurs places par une ouvreuse Madame Pomarès. On se reconnaissait, se saluait d’une rangée à l’autre. Des fauteuils claquaient, des éventails, souvent en papier, palpitaient devant les visages. Quand l’obscurité tombait, toutes les conversations cessaient.
Le spectacle commençait par de la publicité, puis les actualités venant de métropole. Au moment de l’entracte, la salle animée se vidait nonchalamment ; tous se dirigeaient vers la galerie d’entrée afin de se dégourdir les jambes. Debout, au milieu de la foule, les hommes allumaient leur cigarette et continuaient à discuter de choses et d’autres. A la sonnerie de la fin d’entracte, ils regagnaient leur siège en reportant les yeux sur l’écran. Si le film était trop long, nous avions une nouvelle interruption, le temps de poser une
seconde bobine. Puis la séance débutait, les films américains en noir et blanc déferlaient sur les écrans, des films d’aventure,
de policiers, de capes et d’épées, de westerns ; ils véhiculaient du rêve à pleine toile. Je garde une certaine nostalgie de cette époque, peut être parce qu’il s’agissait de mes premiers souvenirs au cinéma, invention magique.
En période d’hiver, le dimanche après-midi, la salle au premier étage de l’hôtel Tonino se remplissait et les
bourdonnements de voix résonnaient, s’amplifiaient. Les gens s’y engouffraient pour assister au jeu de loto
public ; peu à peu, les tables se recouvraient de cartons rouges, jaunes, bleus, verts….destinés à
recevoir des jetons numérotés sur les cases correspondantes. Un meneur de jeu disposait d’un sac
contenant tous les jetons ; il plongeait une main pour en ressortir un, le silence était de mise ; chaque
annonce était accueillie par des soupirs de satisfaction ou bien des cris de désappointement.
Les détenteurs des premiers cartons pleins gagnants avaient droit à un panier garni, un lot de bon vin ou un jambon cru.
Ces moments étaient toujours très animés et l’ambiance particulièrement chaude.
Je recherche Rosello Marcelle Alec qui j’etais au Cours Henry IV a Nice .Merci
Bonjour, Michèle.
J’adresse immédiatement votre message à Jadette, notre archiviste. Elle saura vous renseigner utilement.
A bientôt donc.
Désolée, Michèle mais notre amie Marcelle ,nous a quittées il y a quelques années.
Complément d’ informations concernant les bars » les cafés » du village: ( de Témouchent vers Oran)
Le café GATTI bvd national-Le café DAVID (SANCHEZ et le GAULOIS autrefois) bvd national- Le café CONTRERAS toujours sur le boulevard- Le café BAU rue maréchal Foch- le café REQUENA autrefois DURA et PADOVANI-et le Café DAVOS autrefois café GARAIT-sur le boulevard national – Le café MICO autrefois NIETO rue maréchal Foch-Le café maure de RALHEM rue P. Pouyau- Le café MACIA rue maréchal Joffre- dans la même rue le café BERNABEU autrefois Café VARGAS- Le café PARRES à l’angle de la place et du bvd national- toujours sur le bvd le café RALENTI de son vrai nom SERANO- et le dernier toujours sur le boulevard, le café REYNE . Voilà, vous avez fait la tournée des bars , inutile de vous dire dans quel état vous terminiez!!!! surtout s’il y avait le »remété »…….
Qui mieux que notre archiviste peut recenser les bars de Rio? Ils y sont tous et étaient bien fréquentés en fin de matnée et surtout en fin de soirée.
N’oublions pas cependant que chaque bar avait ses habitués. La gente masculine saladéenne se donnait rendez-vous au café Reyne , Parres ………pour une partie de carte, ou simplement retrouver les amis en fin de journée afin de « refaire le monde ».
La vie au village.
Pendant les fêtes, jeunes, vieux s’extasiaient devant les vitrines des magasins. Le boulevard national scintillait de mille feux. Les villageois flânaient, s’attardaient devant les étals garnis d’objets de convoitise. Le souvenir de ces périodes festives provoque en moi un élan de mélancolie mêlé de bonheur.
A Noël, les nombreux jouets exposés dans la vitrine de Madame NAVARRO, sur fond de velours rouge faisaient la joie des enfants.
A la mi-carême, pour Carnaval, le style changeait, apparaissaient, avec les masques appropriés, de beaux déguisements, ceux de Cendrillon, de Zorro, du petit Chaperon rouge, de Charlot, d’Esméralda, Quasimodo, du Domino…..Ainsi que quelques costumes représentant le terroir de notre lointaine Patrie, Alsace, Bretagne, Provence…. Tous ces déguisements et ceux des provinces de France se louaient pour la circonstance. L’émotion grandissait à la vue d’une cocarde tricolore, la notion de Patrie embuait nos yeux.
Tous les villageois déambulaient le long du boulevard, et relisaient pour la énième fois les affiche de cinéma qui changeaient de semaine en semaine. Nous allions voir un film quand l’envie nous prenait.
La façade des cinémas »Vox et Casino » était déjà défraîchie par le temps, la peinture s’écaillait, jadis, les gens choisissaient leur rangée dans la grande salle vide d’un air très solennel et chuchotaient en marchant.
Nous avions le sentiment d’être les premiers à découvrir une copie neuve que les yeux n’avaient pas encore usée. Je garde une certaine nostalgie de cette époque, peut être parce qu’il s’agissait de mes premiers souvenirs…..
Avec les années on se laisse envahir par ces choses disparues….Tous les films américains en noir et blanc déferlaient sur nos écrans, les films d’aventure, les policiers, les capes et épées, les westerns. Ils véhiculaient du rêve à pleine toile.
Maintenant, on ne les voit plus avec autant d’intensité et je le regrette.
De ces années de jeunesse, je garde le souvenir d’une soif de vie qui dévorait tous les gens de mon village. Je garde de ces jours des rayons de soleil, des promenades, des discussions entre amies.
Lorsqu’une personne approche du terminus, elle est à la recherche de ses racines, pour s’en imprégner une dernière fois. Tant qu’elle ne les a pas revues ou ressenties, elle n’a pas retrouvé la paix en elle!
Je sens, sans être capable de l’expliquer, que le retour au pays natal (l’Algérie), m’aiderait sûrement à effacer cette nostalgie encore vivace, comme si le fait de revoir les lieux de mon enfance m’apportait l’apaisement auquel j’aspire si profondément ou me permettrait tout simplement de mettre un point final à ma vie de déracinée.
La raison de revoir mon pays après tant d’années pourrait être assimilée à de la simple curiosité.
Pourtant, lorsque je contemple une photographie jaunie de mon village, je ressens une sorte « d’appétit » des yeux.
Mais je suis intimement persuadée que la réalité ne saurait égaler la beauté de mes rêves. J’éprouve effectivement la crainte d’être déçue, la crainte de ne pas retrouver le Rio Salado de mon enfance. Peut- être parce qu’il n’y a plus un sourire bienveillant qui vous attend sur le pas de la porte, une odeur familière de gâteaux qui se dégage de la cuisine, des rires d’enfants qui s’élèvent d’une chambre…
Et pourtant, j’aimerais sentir à nouveau l’odeur si particulière des choses vécues, usées par le temps…Les murs de ma maison d’un granité saumon doivent sûrement être à présent délavés et ne doivent plus contenir la féerie de l’existence heureuse de mon enfance !
En général, pendant les mois d’été, la vie à Rio Salado était calme. Moins grouillante qu’Oran, ou la petite ville voisine, Ain Témouchent, elle était néanmoins plus animée que Turgot le village le plus proche.
Toutes ces villes et villages tournaient au ralenti ; l’air flamboyait, la terre était assoupie dans sa robe de feu.
Ce climat étouffant faisait sombrer le pays dans une torpeur physique et intellectuelle.
Nous aimions cette saison ; nous l’aimions d’autant plus qu’elle était, pour nous, synonyme de vacances.
C’est à cette époque de l’année, que nous migrions vers Turgot plage, notre paradis d’été, qui me
paraissait le bout du monde.
Ma famille ne voyageait pratiquement jamais excepté du début juillet au 15 août, elle quittait Rio Salado pour aller au bord de l’eau. C’était les seules vacances de l’année. Elle désertait la fournaise du village pour le charme ventilé de la plage où la seule vue de la mer suffisait à nous rendre heureux.
Maman restait le plus souvent avec nous mais de temps en temps elle retournait au village pour le
ravitaillement ; quant à papa, il se préparait à affronter la saison des vendanges, période de pointe dans son travail.
Alors qu’en métropole, des slogans vantaient les charmes de villégiatures lointaines ; chez nous, seules les affiches des compagnies de chemins de fer étaient évocatrices d’évasion ; mais nos déplacements se limitaient la plupart du temps à des balades en famille à la campagne. Nos gares ne connaissaient d’attentes fiévreuses qu’en période de grands départs, en début et en fin de congés scolaires.
TURGOT PLAGE, lieu paradisiaque des vacanciers qui a peuplé notre mémoire d’images de bonheur. Ce nom évoque à lui seul nos courses sur la rive sablonneuse, le bas de nos pantalons retroussé ou de nos robes relevées afin d’éviter les éclaboussements de la mer couleur émeraude ; nos rires retentissaient au loin, mêlés aux cris des mouettes.
Parfois, du haut de la dune où tout était habituellement que paix et harmonie, le vent du sud soufflait joyeusement et s’engouffrait sous nos jupes en les faisant gonfler comme des voiles ; le sable tourbillonnant nous empêchait d’avancer.
Les algues disséminées sur le sable chargeaient l’air d’un parfum iodé si intense, qu’à plusieurs reprises nous nous arrêtions pour le respirer profondément. En se remplissant nos poumons d’air marin, nous chassions le souvenir de l’année scolaire, purifions notre esprit, et vivifions notre corps.
Qui se souvient …
Lorsque les forains s’installaient sur la place du village, enfants, nous allions à intervalles réguliers les regarder s’activer et priions pour que la fête ne prenne pas de retard. Rassurés, nous contemplions les structures des stands, se dresser peu à peu. Le village était décoré avec faste.
Nous nous émerveillions à la vue d’ampoules électriques qui pendaient en guirlandes d’une façade à l’autre. Lors des essais d’allumage, nous avions le souffle coupé. C’était l’occasion pour les jeunes filles de se vêtir de pimpantes toilettes décolletées en cotonnade fleurie. Elles se ruinaient en achats de robes, de colifichets et chacune se trouvait plus belle et plus luxueusement habillée ; il s’agissait de faire impression sur les jeunes cavaliers.
Quant aux garçons, ils gardaient au fond de leur poche des économies amassées en secret afin de profiter pleinement des attractions.
Tôt le matin, nous regardions par la fenêtre de la chambre et guettions le signe de ce jour qui ne se décidait pas à paraître; le ciel de suie n’annonçait pas de vraie lumière. Nous étions impatients!
Dès dix heures, les premières notes, égrenées par l’orgue de Barbarie du manège de chevaux de bois se faisait entendre, annonciatrices du début de la fête. Nous errions, le sourire aux lèvres, un peu au hasard, nous arrêtant devant les baraques foraines assaillies par les passants ; les enfants se bousculaient vers les balançoires en forme de barques. Le mât de cocagne retenait toute notre attention ; enduit de savon noir, il attirait les plus téméraires. De jeunes hommes se défiaient, arborant fièrement leur force, c’était un combat difficile. Lorsqu’ils réussissaient, ils se présentaient devant nous avec des trémoussements de joie, gonflant leur poitrine et montrant leur semblant de muscles… que dis-je? Leur puissante musculature… Nous étions impressionnées par leurs exploits. Les odeurs de gaufres, de caramel, de praline parfumaient les lieux ; le sucre se collait aux joues des enfants.
Les barbes à papa défilaient sous nos yeux à un rythme époustouflant. La liesse était générale, une atmosphère de kermesse régnait sur la place de Rio, tout le monde parlait en même temps et se laissait emporter par ce tourbillon de réjouissances.
La douceur de la nuit donnait un éclat supplémentaire aux festivités. Les étoiles, une à une, émaillaient le ciel et laissaient présager de merveilleuses journées ensoleillées. La musique enveloppait tout le village, le vin grisait certains d’une gaieté insouciante et d’autres s’étourdissaient en paroles. Parfois la fête terminée, un garçon raccompagna une jeune fille chez elle, le long de la route obscure, sous un ciel rutilant d’étoiles, le couple cheminait tendrement, puis se séparait sous l’inlassable chant de grillons. Peut-être une nouvelle idylle se préparait-elle?
Une fois rentrées chez nous, des heures s’écoulaient avant que tout le monde ne s’endorme. La nuit était empreinte d’une lourde chaleur qui entrait par la fenêtre grande ouverte. Dans le ciel d’encre, un fourmillement d’astres remplissait la voûte céleste. Nous trouvions enfin le sommeil dès que les derniers accents de la fête cessaient.
Nous étions capables de danser toute la nuit et d’être le lendemain matin, les premières levées, fraîches comme des boutons de roses.
A Rio Salado, au-delà de l’entente familiale, il existait une véritable entente cordiale entre les villageois. Ils étaient très respectueux les uns envers les autres. Il y avait comme partout des personnes hautaines mais peu étaient envieuses ; heureusement car l’envieux en mourant éteint volontiers le soleil pour que personne n’en jouisse après lui.
Lorsqu’un commerçant décédait, toutes les boutiques du village fermaient leurs volets par respect pour l’un des leurs. Les propriétaires se tenaient devant leur magasin, droits, le visage attristé, leur chapeau, béret, ou chéchia à la main, en signe de recueillement.
Insensibles à la sueur qui ruisselait sur leur visage et imprégnait leurs vêtements, ils restaient imperturbables, attendant que le cortège funeste passe
le long du grand boulevard national pour se rendre à l’église, puis au cimetière.
La mort de Christian Garait et Richard Pérez endeuilla tout le village. Ces deux enfants de notre commune, beaux comme des astres, partirent pour un voyage sans retour.
Ils excellaient en sport et notamment en basket.
J’assistais fréquemment à leurs matchs en compagnie d’autres camarades ; nous nous comportions telles de véritables groupies.
Nous les regardions fascinées par la beauté de leurs gestes, leur agilité. Ils étaient la coqueluche du village. Toutes les têtes se tournaient vers eux comme les tournesols vers le soleil.
Alors qu’ils poursuivaient leurs études, un accident de voiture leur ôta la vie.
Ne plus les revoir nous paraissait bien cruel…Partir si jeunes… La mort d’un adulte est violente mais celle d’un enfant l’est encore plus.
La jeunesse est un bien sans prix que nul ne peut acheter, mais que l’on perd parfois par insouciance.
Le jour de leur enterrement, l’église était pleine. Tous les habitants de Rio Salado étaient là. La foule endeuillée, muette et profondément attristée assistait aux obsèques de ces deux personnes tant admirées.
Ce funeste événement affecta profondément notre village ; ces jeunes laissèrent un grand vide derrière eux.
« Ne comparez jamais votre vie à celle des autres, vous n’avez aucune idée de ce que sera le voyage de chacun. »
Il faut être toujours ivre, tout est là : c’est l’unique question pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous rend si morose, il faut vous enivrer sans cesse.
Mais de quoi ? Pas de vin, de lecture de poésie de vertu ou de voyage, à votre guise. Mais vous enivrez. Et si quelquefois, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent qui détale le plus vite, à la vague prise dans l’affolement de fuite à l’étoile avant qu’elle ne s’éteigne à l’oiseau qui réjouit l’âme par son chant, à l’horloge quand l’heure vient de tinter, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout se qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est, et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « il est l’heure de s’enivrer ! pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps et du souvenir,
enivrez- vous ; enivrez- vous sans cesse de lecture, de poésie, de vertu ou de voyage, à votre guise. »
A Rio Salado
L’Abbé Plénier suscitait une grande admiration auprès de ses paroissiens; ces derniers étaient captivés par l’exaltation qui émanait de ses sermons. Il faisait vibrer la sensibilité religieuse afin que toutes ses ouailles s’en imprègnent et la mettent en pratique au quotidien.
Pendant ce temps, les hommes se contentaient d’entendre l’office de loin et ne se dérangeaient pas pour aller à la paroisse Saint Michel, excepté lors d’un évènement qui les touchait de près tel qu’un baptême, une communion, un mariage ou un enterrement.
Peu tourmentés par l’ardeur de la foi, ils clamaient haut et fort que la véritable religion se cultivait dans l’âme avant de se pratiquer dans les lieux de cultes.
Les maris envoyaient donc leur femme à l’église prétendant qu’elles leur feraient gagner le paradis et pendant ce temps ils refaisaient le monde… C’était la « Gazette villageoise. »
Dans les bars, le brouhaha était à son comble. L’air était irrespirable et empestait l’odeur de cigarettes mêlée à celle de boissons alcoolisées ou non telles que l’anisette, le vin, la bière, le café, ainsi que des effluves de cacahuètes grillées, olives, torraïcos, escargots sauce piquante, poulpes en salade, fèves au cumin, melsa, boquerones. Chaque verre rempli était accompagné gratuitement de Kémia. Les hommes étanchaient souvent leur soif avec une bonne anisette.
Les conversations trop fortes étaient parfois
incompréhensibles ; ils abordaient tous les sujets sans les approfondir vraiment afin de ne pas ennuyer ceux que çà n’intéressait pas.
Parfois, ils profitaient de ces instants de convivialité pour traiter rapidement certaines affaires professionnelles et il n’était pas rare de les voir se toper dans la main en guise d’accord.
Une fois la messe terminée, dès les beaux jours, les femmes marquaient le dimanche en ouvrant, sur le pas de l’église leur ombrelle, considérée comme un article de luxe et cela afin de protéger leur teint des ardeurs du soleil. Puis elles prenaient le chemin du retour en toisant avec une insolence tranquille leur homme installé à la terrasse d’un café. Lorsque la cloche annonçait la fin de l’office, ils revenaient à leurs plus humbles préoccupations, puis tous s’en allaient contents de ces bons moments passés ensemble.
Après l’exode, nous connûmes, durant des années, des moments très difficiles, avec un horizon parsemé d’embûches comme la plupart de nos concitoyens d’Algérie. L’amour que nos parents nous portaient était notre survie pendant ces dures épreuves et nous donnait du courage afin de ne pas sombrer dans le désespoir.
Les premiers temps, nous pleurions notre patrie
Lointaine, nous nous consolions comme nous le
pouvions. Oublier…. Était- ce possible ?
Rien ne peut effacer la nostalgie d’une enfance
Heureuse, la tendresse du jeune âge avec ses émotions et son bonheur disparu. Nous avons un seul printemps dans l’année et dans la vie une seule jeunesse.
Nos parents cultivaient toujours la mémoire de
l’Algérie française, des photos de là-bas enjolivaient notre appartement.
Nos souvenirs de jeunesse égayaient la maisonnée dans un flot de conversations et de rires.
Nous nous remémorions notre village et ses rituels aussi anecdotiques soient – ils : l’heure à laquelle le facteur distribuait le courrier, l’appel de la prière entonné par le Muezzin depuis la mosquée du village, le son cristallin de la cloche de l’église qui égrainait les heures, le bruit de la draisine suivi quelquefois du sifflet lointain de la locomotive du train et le plus souvent du klaxon de la Micheline. Nous aurions voulu que le temps s’arrête afin de retrouver le goût et les émotions d’autrefois ; ce bonheur que nous croyions éternel.
Après l’indépendance, je pensais souvent à notre cimetière, qui s’étendait à l’ombre des cyprès ; chiendents et ronces se disputaient la place, les journées entières s’y écoulaient sans qu’aucun être vivant ne trouble la paix des morts, sauf en période de fêtes du douar voisin, où la vie s’animait et rompait la solitude de nos défunts.
Usées et meurtries par le temps, certaines croix s’inclinaient à droite, à gauche, suivant le souffle du vent, éloignant les oiseaux de mauvais augure.
Je pensais à mon église, devenue une bibliothèque, au sein de laquelle prières et cantiques ne résonneront plus. L’âme de plus d’un siècle de vie française n’y palpite plus. Cet édifice conservera au moins sa dignité et ne tombera pas en décrépitude et désolation comme beaucoup d’autres…
Nos architectes ont trouvé l’art de faire jaillir de notre terre natale, des églises, des mosquées, des monuments en harmonie intime avec le paysage. Les sculpteurs ont reproduit, sur la pierre, la flore de nos campagnes et taillé des statues à l’effigie de nos héros.
Pourquoi la fureur s’est-elle acharnée contre nos maisons, nos caves vinicoles, nos vignes et nos monuments ? Ces vestiges ont traversé parfois plus d’un siècle et demi, et sont le témoignage de notre art, de notre histoire, de notre passage sur ce sol.
« Mais quelques vains lauriers que promette la guerre, on peut être héros sans ravager la terre ».
Avant de n’être qu’un entassement de pierres brisées et calcinées, ces ruines étaient de belles caves à vin, construites par ceux qui nous ont précédés sur le sol d’Algérie, de belles maisons en pierre de taille, aux balcons fleuris.
Cela est un crime, que d’effacer les empreintes successives imprimées dans la pierre par la main et l’âme de nos aïeux.
Je pensais aux rues de Rio Salado, qui m’emplissaient de bien-être, me rendaient équilibre et sérénité. Les hirondelles par dizaine maçonnaient leurs nids sous les toits des maisons, leurs vols effleuraient perpétuellement les façades des bâtisses ; voilà les images que je revoyais de mon Algérie, de mon village, de ses habitants si travailleurs et si attachants. J’imaginais que, sur un mur du village on pouvait y lire l’inscription suivante :
« PASSANT, SOUVIENS TOI QUE SUR CETTE TERRE JADIS ONT VECU AUSSI DE BRAVES GENS ! »
De mes années de jeunesse, je retiens la soif de vivre qui dévorait tous les gens de mon village. Je garde de ces jours les rayons de soleil, les promenades, les discussions entre amies.
Adolescentes, la mode et les belles tenues vestimentaires étaient très souvent au centre de nos conversations. Il n’était pas nécessaire de vivre en ville pour porter les derniers modèles en vogue.
Dans la rue principale, Madame Navarro disposait avec goût dans sa vitrine robes, chemisiers, jupes du dernier cri.
Nous nous informions des nouveaux styles vestimentaires en feuilletant les magazines de mode tels que Marie Claire, Vogue, Femmes d’aujourd’hui, Modes et travaux, que nous achetions chez la libraire.
Tout ce qui venait de Paris possédait un parfum grisant de modernité.
Ce passe-temps n’était pas apprécié des anciens qui estimaient qu’à leur époque, « on avait mieux à faire que de penser Chiffons ». La mini-jupe outrageusement courte était mal acceptée au village ainsi que le port du pantalon pour les filles lancé par Coco Chanel.
Vivant en vase clos, l’opinion des gens avait grande importance. Certains ricanaient et disaient :
« des étoffes légères pour femmes légères ». Ils n’étaient
toutefois pas les derniers à se rincer l’œil…
Il suffisait de les observer et les voir interrompre leur partie de
cartes ou de dés sur la terrasse du café afin de lorgner les plus audacieuses des jeunes filles du village et s’empresser ensuite de porter tel ou tel jugement.
A cette époque, j’étais trop jeune pour penser aux garçons et trop grande pour oser en parler sans prendre la teinte d’un coquelicot ; s’embrasser en public ne se faisait pas, un petit bonjour de la main suffisait.
C’était le soir à la nuit tombante que les bruits de voix, de rires s’amplifiaient surtout en période estivale. Les jeunes filles coquettes portaient des jupons amidonnés qui leur donnaient une démarche chaloupée et laissaient sur leur passage un sillage parfumé.
Les garçons rasés de près, magnifiquement chics, divinement élégants, se rendaient au cinéma. Tous les villageois déambulaient le long du boulevard, prenant toute la largeur de la nationale et relisaient pour la énième fois les affiches de cinéma qui changeaient chaque semaine. On venait dans ce lieu en voisins, par groupe, par famille, afin de se distraire.
A l’intérieur de la grande salle vide, les gens chuchotaient en marchant tout en choisissant leur rangée, prenant un air très solennel. D’autres étaient conduits à leurs places par une ouvreuse Madame Pomarès. On se reconnaissait, se saluait d’une rangée à l’autre. Des fauteuils claquaient, des éventails, souvent en papier, palpitaient devant les visages. Quand l’obscurité tombait, toutes les conversations cessaient.
Le spectacle commençait par de la publicité, puis les actualités venant de métropole. Au moment de l’entracte, la salle animée se vidait nonchalamment ; tous se dirigeaient vers la galerie d’entrée afin de se dégourdir les jambes. Debout, au milieu de la foule, les hommes allumaient leur cigarette et continuaient à discuter de choses et d’autres. A la sonnerie de la fin d’entracte, ils regagnaient leur siège en reportant les yeux sur l’écran. Si le film était trop long, nous avions une nouvelle interruption, le temps de poser une
seconde bobine. Puis la séance débutait, les films américains en noir et blanc déferlaient sur les écrans, des films d’aventure,
de policiers, de capes et d’épées, de westerns ; ils véhiculaient du rêve à pleine toile. Je garde une certaine nostalgie de cette époque, peut être parce qu’il s’agissait de mes premiers souvenirs au cinéma, invention magique.
En période d’hiver, le dimanche après-midi, la salle au premier étage de l’hôtel Tonino se remplissait et les
bourdonnements de voix résonnaient, s’amplifiaient. Les gens s’y engouffraient pour assister au jeu de loto
public ; peu à peu, les tables se recouvraient de cartons rouges, jaunes, bleus, verts….destinés à
recevoir des jetons numérotés sur les cases correspondantes. Un meneur de jeu disposait d’un sac
contenant tous les jetons ; il plongeait une main pour en ressortir un, le silence était de mise ; chaque
annonce était accueillie par des soupirs de satisfaction ou bien des cris de désappointement.
Les détenteurs des premiers cartons pleins gagnants avaient droit à un panier garni, un lot de bon vin ou un jambon cru.
Ces moments étaient toujours très animés et l’ambiance particulièrement chaude.