9ème BALADE: Rue Maréchal JOFFRE (2ème partie).

Nous voilà rassemblés sur la place, plus exactement sur la palmeraie en face de la station d’ essence de Manolico SANCHEZ. Nous nous sommes régalés avec les brochettes de KHADA. En fin de soirée, c’ est SULTANA qui prendra la relève. En rentrant de notre promenade, nous pourrons, si le cœur vous en dit, déguster la « melsa » , c’est sa spécialité. Vous verrez! Un vrai régal! Pour les non-initiés, la melsa c’est de la rate de bœuf farcie, cuite au four. Pour plus de renseignements, allez consulter le « Cahier de CUISINE des GRANDS-MÈRES du RIO SALADO » . Fifine CARDONA vous en donne la recette.

Melsa concoctée par Danielle ANDREO.

En attendant la fin de journée, je vous propose une petite virée dans le « MAGASIN de NOUVEAUTÉS » de Mme NAVARRO. Avancez-vous jusqu’au boulevard national. Sur le trottoir en face, à l’angle de la rue Joffre, en face de la quincaillerie de M. TISSINIÉ, vous avez la banque. La SOCIÉTÉ GÉNÉRALE et, à côté, le magasin qui nous intéresse: la BOUTIQUE de PRÊT à PORTER de M. et Mme NAVARRO et son annexe, le PETIT LOUVRE. C’est un grand magasin, avec une belle vitrine à droite de la porte d’entrée. A gauche, la devanture du PETIT LOUVRE. Trois marches à grimper et vous êtes dans la boutique. Il fait sombre. C’est vrai! Mais remarquez: les murs sont tapissés de vitrines, de tiroirs, de penderies, en bois foncé. L’éclairage se fait, en grande partie par la porte d’entrée. Comme la plupart des magasins du village. C’est un très beau magasin! Il m’est arrivé d’y aller avec ma mère, acheter, en autre chose, des sous-vêtements de la marque « PERLETTE » ou  » PETIT BATEAU« . Que j’aimais ce magasin! Au moment de régler la note, je m’amusais à faire l’inventaire de ce pupitre assez haut où Mme NAVARRO prenait place, pour encaisser nos achats. Un objet suscitait ma curiosité: une tige en fer plantée dans un socle en bois ou en métal -je ne m’en souviens plus- où elle enfilait des  » petits rectangles de papier ». Une « calbote » bien placée, mettait fin à ma curiosité. Pardon! Encore un mot de notre « langue régionale« : une calbote est tout simplement une petite claque. J’appris par la suite, que cet objet qui m’intriguait, était la façon dont Mme NAVARRO mettait en mémoire toutes ses ventes. Annie Robert me racontait que, lorsque avec Jeanne , elles accompagnaient leur mère au magasin, elles attendaient avec impatience le moment où, pour les occuper, ou les récompenser de leur docilité, Mme NAVARRO leur offrait des « images-devinettes » qui rappelaient des gravures anciennes.

Pour en savoir plus sur ce magasin, « écoutez » ce que Renée QUILES-CALLAMAND, sa petite fille, me disait:

« Mes grands-parents maternels ont exercé leurs talents de commerçants pendant près d’un demi siècle. Mon grand-père François NAVARRO fut d’ abord bourrelier. Il se ventait d’avoir été le premier « bachelier » de RIO SALADO. Ma grand-mère Pura ou Purica était mercière. Au fil des ans, leur situation changea…en mieux. La bourrellerie devint: La boutique de « PRÊT- à-PORTER » et la mercerie: »Le GRAND MAGASIN ». On y trouve de quoi s’habiller, se chausser, se parfumer, et même de quoi se déguiser…de la layette, du linge de maison, des tissus, des jouets, des colifichets, et même des couronnes mortuaires en perles et lettres argentées, des cartes postales, et des billets de loterie pour qui voulait tenter sa chance…

Dans le petit magasin, le « PETIT LOUVRE » vous pouviez avoir des vêtements de marques: Weil, Desarbre, Korrigan, Jantzen…

Ma grand-mère, intelligente et courageuse, dirigeait l’affaire. Elle n’avait nul besoin d’un Séguéla pour la publicité. Elle avait l’art d’attirer la clientèle et de la rendre fidèle. Mon grand-père, son « adjoint de direction », tenait la comptabilité. Il savait tout faire, tout réparer. C’était le Mac Gyver de l’époque. Tous deux travaillaient 7 jours sur 7 . C’est ainsi qu’ils ont élevé 5 enfants (Marie Louise, François, Hermine, Aimé, et Solange) et gâté leurs 11 petits-enfants: Renée, Cathy, Jean-Jacques, Jeanne, Pierre, Hélène, Jeanne, Paule, François, Michel et Paul.

Cependant, mon grand-père s’octroyait quelques moments de détente pour aller disputer une partie de Brisca ou de Ronda au « café Contréras‘. En fin d’ après-midi, il se rendait au boulodrome à bord de sa « Onze Légère » qu’ il pilotait à la manière de Fangio. En attendant son retour, ma grand-mère papotait avec ses clientes et amies, dans le magasin. »

Mais, Madame NAVARRO n’était pas la seule à proposer du linge de maison aux Saladéens . Je devrais dire aux Saladéennes. Le linge de maison étant une affaire de femmes, M. BENSOUSSAN, avait tout un choix de lingerie fine et de chaussures? Chez M. HAGGAÏ, vous trouviez de la mercerie, des chaussures, et des vêtements pour enfants. Chez M. ELBAZ , vous aviez le même genre d’ articles, et vous pouviez aussi vous rendre chez Mme Dolly PEREZ où vous aviez, de surcroît, lingerie fine et ravissants chemisiers.

Madame JEAN, l’épouse de notre coiffeur, n’ avait pas de boutique ayant pignon sur rue. Le salon de coiffure de M. JEAN lui suffisait: elle pouvait vous montrer et vous faire avoir, des pulls et des chemisiers de « luxe » venant tout droit de chez « MADAME« , la boutique chic d’ORAN.

Nous avions aussi des représentants qui allaient dans les maisons ayant filles à marier, proposer le linge qui constituerait le trousseau de ces demoiselles. Mères et grands-mères se faisaient une joie de préparer le trousseau des filles.

Luce SEROIN me parlaient de M. NOËL, domicilié à AVIGNON, qui rendait visite aux familles, avec dans sa valise, du linge de maison venant des VOSGES.

Mathilde GRAILHE venait elle aussi du Nord de la France avec un assortiment de draps, oreillers….

Andrée CARDONA m’a raconté que M. GALENDO , laissait parfois, les commandes en dépôt dans la boutique de Mme NAVARRO.

Suzanne et Maryse SALVA, Jeanine et Marie-Thérèse LOPEZ se souviennent de M. THOREZ. Il arrivait avec dans sa valise des trésors…à vendre. Il étalait sur la table de la salle à manger, à la grande joie de ces demoiselles, venues admirer et choisir: services de table, linge de toilette, parures de lit, services à thé, torchons de cuisine . Rien ne manquait dans les valises de M. THOREZ. Il prenait note des désirs de ces dames, promettant de livrer le plus rapidement possible.

Bref! Ce trousseau, toute une institution! En effet, dans les années passées, une jeune fille se devait d’avoir dans sa corbeille de mariage un trousseau de linge complet. Toutes les pièces devaient être brodées soit par une spécialiste, soit par la future épousée. D’où d’interminables séances chez les brodeuses afin de faire de ces nappes, draps ou serviettes de véritables œuvres d’art.

Madeleine MESTRE brodeuse émérite, accueillait des élèves dans sa maison du boulevard national. Des jeunes filles qui, sous le regard vigilant de Madeleine, brodaient leur trousseau. Ainsi, Rosette PLAZA, Arlette et Nicole POVEDA, Maryse SALVA, Cécile BROTONS, Camille CREMADES se retrouvaient chez Madeleine de 14h à 18h pour tirer l’aiguille . De joyeux après-midis, d’après certaines confidences!

Chez Marie COVACHO ARACIL, brodeuse émérite, la mère de Rosemonde et de Régine, même scénario. De plus, Mme ARACIL, comme Madeleine MESTRE ont brodé pas mal de pièces de trousseau pour ceux et celles qui ne pouvaient le faire.

La mercerie de Netty LOPEZ ,rue Pasteur, fournissait aiguilles, coton à broder, fils et boutons… La boutique n’était pas bien grande certes, mais tout ce dont vous aviez besoin se trouvait là.

Tous les représentants qui « tournaient » dans RIO ne présentaient pas, que du linge de maison. Jean-Marie LLORENS me racontait que sa mère Lucie LLORENS, représentait les GALERIES de FRANCE d’ ORAN. Pendant que Jean -Marie, Michelle et Marc étaient à l’ école ou chez leur grand-mère maternelle, Marie GONZALES, sa mère sillonnait la région pilotée par leur père , Joseph LLORENS, ( « pépet » pour les amis) allant à RIO, à Er RAHEL, TURGOT et même jusqu’à LOURMEL . Lucie LLORENS présentait un catalogue, où vous pouviez choisir du linge de maison, des vêtements, mais aussi des articles de cuisine, de l’électroménager et même des meubles. En fait, tout ce qui était exposé dans les galeries de FRANCE. Les articles commandés arrivaient par train dans une grande panière, sorte de malle en osier. M. et Mme LLORENS, parfois accompagnés de Jean-Marie, allaient les réceptionner à la gare de RIO. Et la répartition commençait. Les meubles étaient livrés par un camion des galeries de FRANCE. Mme ALONZO Rosaria, la maman d’Eveline, de Francine et de Marie-Jeanne venait lui donnait un coup de main.

Vous ne trouvez pas que le système de vente des années 50 dans nos villages, ressemblait étrangement à celui d’aujourd’hui? « INTERNET » avait pour noms, LLORENS, JEAN, CRAILHE, ou NOËL, GALENDO, THOREZ, Comme de nos jours , nos mères de famille, sans bouger de leur foyer, faisaient leurs commandes, qu’elles recevaient à la maison, ou qu’elles allaient chercher dans des « points- relais » ! Que faisons nous aujourd’hui? La même chose! Pas vrai?

Je vous donne maintenant , quartier libre, promenez-vous dans le magasin de Mme NAVARRO, peut-être trouverez-vous un souvenir à rapporter? Que dis-je, à raconter… à nous raconter! Je vous laisse, je vous retrouverai plus tard, pour continuer notre promenade Rue Maréchal JOFFRE.

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14 réflexions sur « 9ème BALADE: Rue Maréchal JOFFRE (2ème partie). »

  1. Même si je mets à mal sa modestie , je dis MERCI à Jadette et à son talent de narratrice, pour nous procurer autant de plaisir , et faire renaître toutes ces émotions !
    Pendant un moment , j’ en ai oublié  » le poids des années passées  » ! ! !

  2. Merci Jadette.
    La promenade rue Maréchal Joffre a réveillé en moi de bons souvenirs ..
    La boutique de la Tante Purica ..
    Purica était la sœur de mon grand-père donc la tante de mon père, Ernest.
    Je me revoyais dans sa belle boutique .
    Merci à Renée, j ai pu retrouver les prénoms de ses tantes, oncles et cousins.
    Toutes les apprentis brodeuses… J’en ai reconnu..
    Bravo Jadette. Tu es un trésor pour notre mémoire.
    Bises
    Denise Martinez Lignon.

    1. Je me demandais si j’allais poursuivre mes balades , et bien , je vous remercie! Vos commentaires m’ont aidée à prendre une décision: je continuerai à vous balader dans le RIO SALADO de notre jeunesse.

  3. Bonsoir Jadette.
    Difficile de rajouter des remerciements et félicitations à ceux de Jeannine et de Denise. Mais quand même: merci!
    Si je me souviens bien de tous ces commerces et des traditions que tu décris, je me souviens moins bien des noms de toutes ces personnes que nous avons côtoyées et pourtant… Toutes ces photos font reconnaitre des visages familiers.
    Je revois bien les confections de trousseaux et le temps passé pour les broder avec les initiales.
    J’ai « hérité » de draps de lit en lin, brodés aux initiales de ma mère, qui n’ont jamais servi. Ils pèsent une « tonne » et ils ne serviront probablement jamais.
    Je voudrais que tu m’aides à parler de Mme Garait, la « Modiste ». Elle fabriquait (et transformait) des chapeaux pour dames pour des cérémonies. Notamment pour des mariages.
    Jeune, j’associais difficilement ce terme de modiste à la fabrication de chapeaux.
    Mme Garait était, si ma mémoire ne me trahit pas, la mère d’Alex .
    Continue! Nous avons besoin de parcourir encore les rues de notre cher village
    Amitiés.
    René
    Abidjan

    1. René, tu me rafraîchis la mémoire! j’y penserai! Mais il y a tant de choses qui refont surface au fur et à mesure que nous avançons dans nos rues que j’espère ne pas oublier un Saladéen au coin de l’une d’ elles, pendant notre promenade. De toutes façons, je compte sur vous tous pour me le faire savoir. Et je vous en remercie d’avance.

      1. Bonjour Jadette et merci pour ce rappel de nos années soixante à Rio. Il y a encore des Saladéens qui se souviennent  de ma mère Lucie LLorens représentante des Galeries de France. Elle passait à domicile pour prendre des commandes et faire les livraisons pour une fidèle clientèle qui l’appréciait beaucoup. Merci Jadette encore pour cette évocation. Reçois mes fidèles amitiés avec mes affectueuses pensées à tous les Saladéens-
        Jean-Marie LLORENS

  4. Je pense que la banque qui se trouvait face à la quincaillerie Tissinié, c’était La Cie algérienne car la Sté Générale n’était pas présente à Rio, à ma connaissance .

  5. Merci Jadette
    Tu as un réel talent de conteuse. Je t’avoue humblement que beaucoup de personnes nommées n’évoquent rien pour moi. Pas les commerçants du village mais les autres qu’on appelle aujourd’hui VRP…
    Tu commences ta narration par les brochette de Khada et de Sultana. Mais moi, je me souviens de Mr et Mme Estève dit « MINGO« . Et qui, le matin, nous régalaient avec de bons « binuelos » .
    Moi, je me rappelle du représentant en bijoux du nom de Mr CASCALES si la mémoire ne me fait pas défaut .
    Tu en parleras peut être lors d’une prochaine balade .
    Tu as amassé une mine d’or d’archives et de témoignages. C’est toujours pour moi un grand plaisir de te lire. Sur les photos, j’ai reconnu pas mal de personnes dont j’ignorais pour certaines le nom.
    Encore merci. Grâce à toi, notre village continue de vivre.
    A bientôt pour une autre balade .
    J’en profite également pour remercier Joseph pour son travail .
    Bises et amitiés.
    Michelle Chorro

    1. Michelle, tu sais que j’ai pratiqué l’art de raconter des histoires pendant 30ans. Peut-être que cela a fait de moi une conteuse. Mes petits élèves attendaient ces moments avec beaucoup de plaisir. J’ai simplement changé d’auditoire et défendu un sujet qui nous tient tous à cœur. Allez! Rendez-vous à notre prochaine balade. Tu découvriras d’autres « nouvelles », j’en suis sûre.

      1. Jadette, il y avait aussi monsieur VASQUEZ qui faisait des costumes sur mesure. Il venait d’Oran.
        Tu vois, dans le temps passé, tu avais des petits élèves qui t’écoutaient. Maintenant, tu as des petits vieux qui veulent continuer à rêver de leur village tant aimé.

        1. Merci Danièle! J’ avais oublié notre tailleur M. VASQUEZ. Je crois qu’ il n’avait pas d’atelier dans le village, et qu’il faisait les essayages chez ses clients.C’est bien ça? « Quand à notre balade, nous continuerons à rêver quand il fera moins chaud au village. En bref! continuons à « rêver  » pour ne pas oublier!

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