Notre oued : le Rio Salado.

Je ne sais toujours pas si les faiseurs de pluie y étaient pour quelque chose, mais les pluies s’annonçaient dans les mois qui suivaient ces festivités.  Elles  arrivaient quelques fois abondantes, parfois trop abondantes ce qui entraînait notre oued dans des « débordements » désordonnés.                                 Ces crues, Maud ARNAUD, arrière petite fille d’Henri DE GOURNAY, premier délégué de l’administration de RIO en parle dans son roman  «La fleur de l’aloès ». Roman qui raconte  « l’épopée pionnière d’une branche de sa famille en terre d’ALGERIE, dans les années 1850».                                      «...Après des mois de sécheresse et d’un ciel uniforme, brusquement, des nuages sombres avaient diffusé une lumière grise. Des pluies diluviennes avaient ployé la végétation, transformé le sol en sable mouvant.  L’Oued EL MALAH n’était plus reconnaissable. Devenu fleuve fantastique et rapide, ses eaux boueuses décapaient les berges avec un grondement sourd. Henriette angoissée, surveillait la montée des eaux. Rambert était venu lui annoncer qu’une partie du pont en bois avait été emportée par cette crue soudaine. Il paraissait soucieux, étonné par la puissance subite de l’oued.                                                                                               – La route est coupée. Si la pluie continue avec cette violence, le pont sera complètement bousillé. Quel foutu pays!…..»

Ces ponts en bois, il y en eu pas mal au cours des années  suivantes, emportés par les crues et aussitôt reconstruits. Dans l’épilogue de son livre, on peut lire: «…Peu à peu, les marécages du gué furent drainés. Les fièvres disparurent. On inaugura le pont de pierre sur le RIO SALADO en 1870. On ne l’appela plus oued EL MALAH. Pour la première fois, on put circuler même en hiver sur la route  TLEMCEN-ORAN».

Ce dernier pont en pierre, celui que nous avons connu, se situait à la MITIDJA, et l’on pouvait apercevoir une autre structure enjambant l’oued : le pont de fer de la voie ferrée  plus récent celui là.

Andrée MONTERO dans « Rio Salado » raconte : «…A l’Est, sur la route d’ORAN, nous pouvions contempler, majestueux et flambant neufs  « les deux ponts » dont le village s’enorgueillait avec ostentation. Cette glorieuse architecture de fer enjambait en hiver une eau maigre et boueuse roulant paresseusement le long des berges dénudées, en été un mince filet d’eau s’épuisant entre les cailloux. Les citoyens de RIO SALADO, de toutes appartenances politiques, avaient participé sans réticence à l’édification de cette « merveille ». Chacun déliant sa bourse qu’elle qu’en fut la « teinte » ou la taille ».

Notre « oued seco », comme l’appelait  Andrée Montero, en se moquant …avec des inflexions de tendresse », n’avait pas fini de nous en « faire voir ». Le pont résista à tous les assauts de l’oued en colère. Nous allions à la MITIDJA le voir défier l’eau boueuse, le sentir vibrer mais tenir bon.  Alors pour se venger, ivre de colère, l’oued s’enflait, grossissait, inondant tout sur son passage, et allait se jeter fou furieux dans les flots de la plage de TURGOT.

Cette année là, en septembre 1955 ou 56, la crue fut mémorable. Les vacances n’étaient pas encore terminées, la rentrée des classes à cette époque se faisant en octobre. Les pluies avaient été abondantes sur les hauteurs du TESSALA. La rivière grossissait à vue d’œil, se déversant en larges taches boueuses dans le bleu de la mer. Elle s’enflait de plus en plus. Et la boue, charriée par les flots, asphyxiait les poissons de la rivière. Nous apercevions leurs têtes hors de l’eau, petites boules argentées essayant d’aspirer autre chose que de la terre. Parfois un serpent emporté par le courant se laissait dériver, sa tête dressée hors de l’eau. Les tortues verdâtres grimpaient désespérément sur les berges, fuyant la boue, tandis que l’eau, insidieuse, sortait de son lit et inondait la plage. Une odeur de vase emplissait l’air.  Le vieux pont JACOBIN  fut emporté.

Quelques années plus tard, en octobre 1964, l’oued fit encore des siennes. La crue fut phénoménale. La tempête faisait rage de tous côtés, les éléments en furie se déchaînaient. L’oued se déversait en gros bouillons dans la mer. Celle-ci ne voulant pas être de reste rugissait de plus belle, envoyant ses vagues à l’assaut de la crue. L’onde de choc fut épouvantable et néfaste pour le CASINO, le bar restaurant de mon père. L’établissement trônait depuis des années au milieu de la plage, près de la rivière. La mer démontée  et l’oued en crue sapèrent les fondations et tout un côté de la bâtisse s’effondra tel un château de cartes.  Les méfaits de cette crue ne s’arrêtèrent pas là. Le pont métallique qui avait remplacé le pont JACOBIN, reliant les deux plages, fut envoyé par le fond où il disparut à tout jamais. Les garages en bordure de la rivière furent eux aussi réduits à un tas de pierres. Le kiosque de la JOYEUSE ESCALE tangua dangereusement, hésitant encore à s’effondrer. Il fallut, à notre jolie plage, des semaines pour distiller cette eau boueuse vomie par l’oued. Quant au CASINO, il fut rayé à tout jamais de Turgot-Plage.

Voilà ! C’était ça, notre rivière, une vraie « soupe au lait » perdant son calme aux grosses pluies.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2 réflexions sur « Notre oued : le Rio Salado. »

  1. Merci, Jadette, pour le gros travail que tu accomplis. Grâce à toi, nous rajeunissons de … 56 ans … au moins. Je me souviens qu’en 6 ème, à Ali Chekkal, nous avions eu, en rédaction, un « sujet libre ». J’avais choisi de parler de « Ya Madame Bono ». Mais j’ignorais totalement le nom de tous les instruments de musique dont tu parles.
    Continue à nous faire rêver, STP.

  2. Souvenirs d’une Turgotienne ;
    C’est en lisant l’article de Jadette sur les crues du Rio-Salado que des images fortes, enfouies dans ma mémoire de petite fille d’une dizaine d’années m’ont bouleversée.
    On racontait que le village « La Getna » était envahi par les eaux de l’oued el Taïeb qui passait par Aïn-Témouchent et Turgot pour rejoindre l’oued Senane. De gros orages s’étaient abattus sur la région depuis quelques jours.
    Bien entendu, avec des voisines, des copines, ma sœur et maman, nous sommes parties à pieds jusqu’au bord de cette rivière. C’était un spectacle inoubliable: une eau boueuse, tumultueuse, envahissait la route, la plaine de Camalonga et le pont qui conduisait vers certaines fermes. Ce débordement et la force de l’eau avait hélas emporté un jeune garçon peut-être trop curieux.
    Ces phénomènes climatiques existeront toujours en causant parfois des ravages. Notre actualité en est la preuve. On ne peut se départir de ces sentiments de peur, d’angoisse et parfois de beauté devant le déchaînement des éléments.

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